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jeudi 24 décembre 2009

Natale


 

Napoli il 26 dicembre 1916

Non ho voglia
di tuffarmi
in un gomitolo
di strade

Ho tanta
stanchezza
sulle spalle

Lasciatemi così
come una
cosa
posata
in un
angolo
e dimenticata

Qui
non si sente
altro
che il caldo buono

Sto
con le quattro
capriole
di fumo
del focolare

Giuseppe Ungaretti, Vita d'un uomo, Naufragi


Noël

Naples, 26 décembre 1916

Je n'ai pas envie
de me précipiter
dans une pelote
de routes

J'ai tant
de fatigue
sur les épaules

Laissez-moi ainsi
comme une
chose
posée
dans un
coin
et oubliée

Ici
on ne sent
rien d'autre
qu'une bonne chaleur

Je reste
avec les quatre
cabrioles
de fumée
de l'âtre




 

(Auguri di Buon Natale a tutti i visitatori di questo blog / Bon Noël à tous ceux qui passent par ici)



Images : en haut,  Site Flickr

en bas, Maurizio  (Site Flickr)

mardi 22 décembre 2009

Il ratto di Elena



L'Idée, a-t-on pensé, est la mesure de tout,
D'où suit que «la sua bella Elena rapita», dit Bellori
D'une célèbre peinture de Guido Reni,
Peut être comparée à l'autre Hélène,
Celle qu'imagina, aima peut-être, Zeuxis.
Mais que sont des images auprès de la jeune femme
Que Pâris a tant désirée? La seule vigne,
N'est-ce pas le frémissement des mains réelles
Sous la fièvre des lèvres? Et que l'enfant
Demande avidement à la grappe, et boive
A même la lumière, en hâte, avant
Que le temps ne déferle sur ce qui est?

Mais non,
A pensé un commentateur de l'Iliade, anxieux
D'expliquer, d'excuser dix ans de guerre,
Et le vrai, c'est qu'Hélène ne fut pas
Assaillie, ne fut pas transportée de barque en vaisseau,
Ne fut pas retenue, criante, enchaînée
Sur des lits en désordre. Le ravisseur
N'emportait qu'une image: une statue
Que l'art d'un magicien avait faite des brises
Des soirées de l'été quand tout est calme,
Pour qu'elle eût la tiédeur du corps en vie
Et même sa respiration, et le regard
Qui se prête au désir. La feinte Hélène
Erre rêveusement sous les voûtes basses
Du navire qui fuit, il semble qu'elle écoute
Le bruit de l'autre mer dans ses veines bleues
Et qu'elle soit heureuse.

Yves Bonnefoy La Vie errante, (De vent et de fumée, extrait), Poésie / Gallimard



Image : Guido Reni, Il ratto di Elena (Musée du Louvre)

Rues de Parme – extérieur jour


Gros plan de Fabrizio : un visage pour un instant anonyme, puis prennent vie les yeux encore naïfs de vingt-trois ans, puis le profil intelligent, rigoureux. Quand nous le découvrirons en pied, il semblera harmonieux dans ses un-mètre-quatre-vingt-trois, ses flancs étroits, ses longs bras et ses mains abandonnées. Fabrizio, de face, marche dans une rue (arrière-plan flou). Travelling arrière suivant son rythme. C'est sa voix que nous entendons depuis le début : calme et sévère, jamais humble, jamais ironique.

FABRIZIO. «Et pourtant, Eglise, j'étais venu à toi. / Je tenais serrés dans ma main / Pascal et les chants du peuple grec.»

Autre plan rapproché : il court (même travelling), face à nous.

VOIX OFF FABRIZIO. «La Résistance balaya / avec ses rêves neufs le rêve des régions / fédérées dans le Christ, et son doux et ardent / rossignol. / Malheur à qui ne sait pas que cette foi chrétienne / est bourgeoise dans le signe / de chaque privilège, de chaque reddition / de chaque servitude ; que le péché / n'est que le crime de lèse certitude quotidienne, haï / par peur et par aridité.»

Début musique clavecin (thème principal).

VOIX OFF FABRIZIO. «Malheur à qui ne sait pas que l'Eglise / est le cœur impitoyable de l'Etat.» (Tous les passages entre guillemets sont extraits de La Religione del mio tempo, de P.P. Pasolini) Comme en rêve viennent à ma rencontre les portes de la ville...

Plan général (en avion) de Parme, survolant la ville.

VOIX OFF FABRIZIO (suite). ...les remparts, les barrières de la douane, les clochers comme des minarets, les coupoles comme des collines de pierre, les toits gris, les loges ouvertes...

Plongée verticale vers le fleuve et un pont.

VOIX OFF FABRIZIO (suite). ...et en bas, plus bas, les rues, les faubourgs, les places, la place. Et au milieu, il y a le torrent, la Parma, le fleuve qui sépare les deux villes, les riches des pauvres. Et encore la place, au cœur même de la ville et pourtant si proche des champs que certaines nuits, l'odeur du foin y arrive.

Travelling avant en voiture débouchant sur la grande place (la place Garibaldi). Quelques piétons et voitures. Travelling faisant le tour complet de la place et terminant sur la statue de Garibaldi.


VOIX OFF FABRIZIO (suite). La place, et nous dedans, qui nous sentons comme dans une grande arène murée.
Plan rapproché : Fabrizio marche. Des pigeons s'envolent autour de lui.
VOIX OFF FABRIZIO (suite). Voilà : je marche au milieu de figures, en dehors de l'Histoire, éloignées... (travelling latéral en plan américain suivant Fabrizio qui marche dans la foule) ...des figures en qui préexiste seulement l'Eglise...

Plan moyen et travelling latéral contraire : Fabrizio marchant dans la foule.

VOIX OFF FABRIZIO (suite). ...en qui le Catholicisme a étouffé tout désir de liberté.

Il marche parmi des gens qui discutent par petits groupes compacts sur la place.



VOIX OFF FABRIZIO (suite). Ce sont mes semblables, les bourgeois de Parme, ceux de la messe de midi. (Plan américain serré sur son profil gauche. Il court.) Je me demande s'ils sont jamais nés. Si le présent résonne en eux comme il résonne en moi sans pouvoir se consumer.

Plongée générale sur la ville et reprise de la musique de clavecin. Plan américain serré de Fabrizio courant face à nous travelling arrière).



VOIX OFF FABRIZIO (suite). Clelia !

Plongée sur la ville. Les églises.

VOIX OFF FABRIZIO. Nous étions fiancés depuis toujours, prédestinés l'un à l'autre.

Plan général vers la porte ensoleillée d'une église. Un jeune homme blond (Agostino), plus jeune que Fabrizio, en sort et marche.

VOIX OFF FABRIZIO (suite). Mais Clelia est la ville. Clelia est cette partie de la ville que j'ai refusée.

Le jeune homme croise les bras et marche devant le porche.



VOIX OFF FABRIZIO (suite). Clelia est cette douceur de vivre que je ne veux pas accepter.

Le jeune homme se tourne et appelle, hors champ.

AGOSTINO. Fabrizio !

Il s'avance. Fabrizio entre dans le champ.


AGOSTINO. Je te l'ai trouvée. Elle est ici avec sa mère.



Il montre la porte de l'église. Les deux se dirigent vers la porte.

VOIX OFF FABRIZIO. Pour cela, par un dernier acte d'amour désespéré, j'ai erré à travers les églises à la recherche de Clelia. Je l'ai trouvée et j'ai voulu la regarder pour la dernière fois.

Découpage de la séquence d'ouverture de Prima della Rivoluzione,
de Bernardo Bertolucci L'Avant-Scène cinéma, n. 82, juin 1968.

Sources des images :

Photos en noir et blanc extraites du film : Site

Piazza Garibaldi, Parme (photo en noir et blanc) : Site Flickr

Piazza Garibaldi, Parme (photo en couleurs) : Site Flickr

mardi 15 décembre 2009

La nuit et les nombres



Je ne suis certainement pas de ceux qui voient l'Italie comme simplement «la terre heureuse» où de riantes collines, de beaux rivages répondraient aisément à un art de vivre lui, toutefois, bien réel, et très raffiné autant que très méditable. Les pierres au soleil, qu'on les retourne le long de la strada bianca, et je sais bien que dessous miroitent obscurément les flaques de l'irrationnel, des fantasmes, de la pensée magique : «il buio», tout un passé italique, étrusque, romain encore, qui, grâce à des coutumes locales, à peine christianisées sur des terres souvent âpres et pauvres, n'a jamais été aussi réprimé dans l'inconscient italien que le furent en France nos civilisations gauloises ou préceltiques. Les effrois les plus archaïques, les entrevisions les plus fugitives, et des cris dans le noir, même à midi : je crois, ai-je tort, les rencontrer partout dans l'imaginaire italien. Et Paolo Uccello peignant La Profanation de l'hostie, c'est précisément ce dark side de l'existence : un côté de l'esprit où foisonnent des êtres «peregrinantes in noctem», où, dans des salles désertes, devant des portes béantes, on prononce de bizarres incantations pour éloigner les démons, en jetant des fèves derrière soi.


Mais au sein même de ce qu'ainsi je nomme la nuit, ce qui m'a toujours frappé et requis en pays de langue italienne, c'est la présence des nombres dans les œuvres, c'est cet affinement des proportions dans les rapports entre les diverses parties des édifices – ou, en peinture, dans le tracé d'un bras, d'un visage – qui semble, comme un aérostat, arracher la forme à ses adhérences dans la matière et ainsi délivrer l'esprit de ce mal qui stagne, croit-on parfois, dans les aspects les plus heureux de la vie. J'ai eu cette impression d'élévation et de délivrance en bien des lieux, depuis mon premier pas sur le sol italien, quand, en 1950, au sortir de la gare de Florence, je vis se dresser le campanile éclairé de Santa Maria Novella. Des nombres qui se resserrent sur eux-mêmes, qui s'allègent, qui passent dans l'invisible : quel saisissement, quelle espérance, aussitôt ! Dès cet instant je me sentis sur la voie.

Yves Bonnefoy, Postface à L'Arrière-pays, Poésie / Gallimard, 2005

Jean-Louis Schefer : L'Hostie profanée (document au format pdf)

Source des images : en haut, P. Uccello, Le miracle de la profanation de l'hostie (détail) Site

en bas, campanile de Santa Maria Novella, Florence : Site Flickr

Mi ricordo (4)


Je me souviens que Nico fait une brève apparition dans La Dolce Vita de Fellini.


Source de l'image : ici

jeudi 10 décembre 2009

Lucca era



... Lucca era
un ricordo improvviso tra le vigne,
poco sopra la brina, oltre Lunata,
la murata vertigine del cuore
che batte ogni istante di era in era.

Oltre Lunata... Ne ho la luna in bocca,
una menta ghiacciata.

Chi c'era, chi non c'era, c'era la ciera
d'un bambino che alzava la bandiera
ipotetica del suo capo chino,
lo sguardo lampeggiante sulla brina,
mentre il tramviere pestava il suo trillo :
a ogni svolta il suo campanello
avvisava la brina, e poco altro,
ch'era l'ora di scioglersi, dall'alto,
nello stridere alato dei binari,
tra uno sguardo imperioso e uno sbadiglio :
così scoppieta il fuoco tra gli alari.

Ed è lì che si disfa la stagione,
ogni stagione, in luce di ametista.

Arrivare, che importa ? Era una pista
circolare, era quella la svolta
che da piazza del Giglio riportava
ogni volta un bambino – come il grano
di miglio le sue tortore a tubare
sotto la sedia – a un miglior consiglio
che la parola compitata in vista
del suo esito : sì, significare,
oltre il fatato intrico ; ma era : amare,
dentro il fumo violetto della sera
amare, oltre il cipiglio d'ogni essere,
il suo profilo sconosciuto : appare
e spare, ancora appare e spare.

Forse il tempo che passa nella spera
cancella chi lo guarda... Lucca era
quasi un pianto dolente di verbena.
Lucca era...

23-29 agosto 1984

Piero Bigongiari, Nel delta del poema, ed. Mondadori, 1989




Lucques était...
un souvenir soudain parmi les vignes,
à peine au-dessus du givre, au-delà de Lunata,
le vertige muré du coeur
battement de chaque instant d'âge en âge.

Au-delà de Lunata... J'en ai la lune en bouche,
une menthe glacée.

Qui était là, qui n'y était pas, c'était la frimousse
d'un enfant qui dressait le drapeau
hypothétique de sa tête inclinée,
son regard étincelant sur le givre,
tandis que le cheminot frappait du pied son tintement :
à chaque tournant son timbre
avertissait le givre, et rien d'autre,
qu'il était l'heure de fondre, d'en haut,
dans la strideur ailée des rails,
entre un regard impérieux et un bâillement :
ainsi crépite le feu entre les chenêts.

Et c'est là que se défait la saison,
toute saison, dans une lumière d'améthyste.

Arriver, qu'importe ? C'était une piste
circulaire, c'était le tournant
qui de la place du Lys ramenait
chaque fois un enfant – comme le grain
de mil ses ramiers roucouler
sous la chaise – à plus de sagesse
que le mot épelé en vue
de son sens : oui, signifier,
au-delà du labyrinthe enchanté ; mais c'était : aimer,
aimer, au-delà de l'air sévère de chaque être,
son profil inconnu : il apparaît
et disparaît, apparaît et disparaît encore.

Peut-être le temps qui passe sur l'horloge
efface-t-il qui le regarde... Lucques était
presque une plainte dolente de verveine.
Lucques était...

Traduction : Antoine Fongaro (Piero Bigongiari Ni terre ni mer, Orphée / La Différence, 1994)

Piero Bigongiari sur le site Terres de femmes

Source des images : Site Flickr (1) et (2)

mercredi 9 décembre 2009

Dicono che Totò fosse principe (On dit que Totò était prince)





Dicono che Totò fosse principe. Una sera che eravamo a cena insieme diede una mancia di ventimila lire a un cameriere. Di solito i principi non danno simili mance, sono molto taccagni. Se Totò era principe, era dunque un principe molto strano. In realtà conoscendolo risultava un piccolo borghese, un uomo di media cultura, con un certo ideale di vita piccolo borghese. Come uomo. Ma come artista, qual è la sua cultura? La sua cultura è la cultura napoletana sottoproletaria, è di lì che viene fuori direttamente. Totò è inconcepibile al di fuori di Napoli e del sottoproletariato napoletano. Come tale Totò legava perfettamente con il mondo che io ho descritto, in chiave diversa perché il mondo da me descritto era in chiave comica e tragica, mentre Totò ha portato un elemento clownesco, da Pulcinella, però sempre tipico di un certo sottoproletariato che è quello di Napoli.

Un comico esiste in quanto fa una specie di cliché di se stesso, egli non può uscire da una certa selezione di sé che egli opera. Nel momento in cui ne uscisse non sarebbe più quella figura, quella silhouette che il pubblico è abituato ad amare e conoscere e con cui ha un rapporto fatto di allusioni e di riferimenti. Anche Totò ha fatto il cliché di Totò, che è un momento inderogabile per un comico per esistere. Entro i limiti di questo cliché, i poli entro cui un attore si muove sono molto ravvicinati. I poli di Totò sono, da una parte, questo suo fare da Pulcinella, da "marionetta disarticolata"; dall'altra c'è un uomo buono, un napoletano buono starei per dire neorealistico realistico, vero. Ma questi due poli sono estremamente avvicinati, talmente avvicinati da fondersi continuamente. È impensabile un Totò buono, dolce, napoletano, bonario, un po' crepuscolare, al di fuori del suo essere marionetta. È impensabile un Totò marionetta al di fuori del suo essere un buon sottoproletario napoletano.

Il problema del rapporto tra regista e attore è un tasto molto delicato. Non voglio certo pretendere di risolverlo qui. Quando dicevo che ogni comico oggettiva se stesso in una specie di figura assoluta, stilizzata, di cliché di se stesso, volevo dire che l'attore comico crea se stesso, inventa se stesso, quindi compie un'operazione poetica, artistica, di carattere e livello estetico e non semplicemente comunicativo e strumentale. E quindi nel momento in cui Totò ha creato e inventato se stesso ha continuato sempre a inventarsi; la sua opera di inventore continua, non cessa nel momento in cui si inserisce dentro l'invenzione di un altro. Praticamente il Totò in un film mio o in un film di un altro regista è inscindibile dal film; teoricamente invece lo è, si può scindere, e si può trovare dentro la creazione del regista il momento creativo dell'attore. Evidentemente egli è sempre inventore, è sempre un creatore, sempre un artista in qualsiasi film si trovi. Se lo si trova nel film di un autore, è difficile capire qual è il momento suo dell'invenzione, se invece lo si trova in un film mediocre o addirittura in un film brutto, allora invece quest'operazione è molto più facile. Si scopre immediatamente il momento creativo di Totò, e lo si gode di più.

P.P. Pasolini, 1971





On raconte que Totò était prince. Un soir que nous dînions ensemble, Totò laissa au garçon un pourboire de vingt mille lires. Les princes n'ont guère l'habitude de donner des pourboires de cette importance ; ils sont plutôt grippe-sous. Si donc Totò était bien prince, c'était un prince d'une espèce assez particulière. En fait, de sa fréquentation, on retirait le sentiment qu'il s'agissait d'un petit bourgeois. Voilà pour l'homme. Et l'artiste, quelle était sa culture ? Sa culture est la culture napolitaine sous-prolétarienne ; il en sort en droite ligne. Impossible ce concevoir Totò en dehors du sous-prolétariat napolitain. Tel que, Totò était parfaitement lié à ce monde que j'ai moi-même décrit, bien que dans un registre différent, car ma description recourt à la fois au comique et au tragique, alors que Totò a intégré un élément clownesque, issu de Pulcinella, bien que toujours typique de ce sous-prolétariat napolitain.

Un comique n'existe que dans la mesure où il produit une sorte de cliché de lui-même ; il ne peut pas exister en dehors d'une certaine "sélection de soi" qu'il opère. S'il sortait de ce cliché, il cesserait aussitôt d'être cette figure, cette silhouette que le public a l'habitude d'aimer et de connaître, avec laquelle il entretient un rapport tout en allusions et qui lui sert de référent. Comme les autres, Totò a créé ce cliché de lui-même, moment incontournable pour l'existence d'un comique. À l'intérieur des limites posées par ce cliché, les pôles entre lesquels un acteur dispose d'un espace de jeu sont extrêmement rapprochés. Les pôles de Totò sont d'un côté le jeu de Pulcinella, la «marionnette désarticulée» ; de l'autre, un brave homme, un brave napolitain – je dirai presque néo-réaliste, réaliste, authentique. Mais ces deux pôles sont très proches, tellement proches qu'ils finissent par se fondre continuellement l'un dans l'autre. Impossible d'imaginer un Totò brave, doux, napolitain, débonnaire, un peu crépusculaire, en dehors de la composante de la marionnette. Impossible d'imaginer un Totò-marionnette en dehors de la composante du sous-prolétariat napolitain.

Le problème du rapport entre metteur en scène et acteur est toujours extrêmement délicat. Je n'ai certes pas la prétention de le résoudre ici. En disant que tout comique s'objective à travers une sorte de figure absolue, stylisée, un cliché de lui-même, je voulais dire que l'acteur comique s'invente lui-même, se crée et donc effectue un travail poétique, artistique, d'ordre et de niveau esthétique et non pas seulement informatif et utilitaire. Voilà pourquoi, à partir du moment où Totò s'est créé et inventé, il n'a plus jamais cessé de le faire ; son œuvre de créateur ne connaît pratiquement pas d'interruption, pas même lorsqu'il doit s'intégrer à la création d'un autre. Pratiquement, qu'il s'agisse d'un de mes films ou du film d'un autre réalisateur, Totò est inséparable du film. Théoriquement pourtant, il l'est ; on peut l'en séparer et découvrir, au sein même de l'oeuvre du réalisateur, le moment créatif de l'acteur. À l'évidence, Totò est toujours inventeur, créateur, toujours un artiste, quel que soit le film où il joue. S'il joue dans un film d'auteur, il est assez difficile d'entrevoir le moment de sa propre invention ; si, au contraire, il joue dans un film médiocre ou a fortiori dans un mauvais film, l'opération est alors beaucoup plus aisée. On découvre immédiatement le moment créatif de Totò et on en jouit davantage.

(Traduction (légèrement revue) : Bernard Mangiante, Cahiers du cinéma, hors-série Pasolini cinéaste, mars 1981)

Totò apparaît dans trois films de Pasolini, un long métrage, Uccellacci e uccellini (1966) et deux sketchs, La Terra vista dalla luna (dans Le Streghe, 1967) et Che cosa sono le nuvole ? (dans Capriccio all'italiana, 1967). On peut retrouver ces trois films dans le coffret publié aux éditions Carlotta, Pier Paolo Pasolini, les années soixante. Antonio de Curtis (in arte Totò) est aussi un auteur de chansons (ici la plus célèbre, Malafemmina) et de poésies en napolitain (l'une des plus fameuses est A'Livella, on peut lire ici le texte et une traduction française).





mardi 8 décembre 2009

Maschere


'NA MANU LAVA L'ANTRA E TUTTI DU LAVANU LA MASCARA. Traduzione del detto italiano «una mano lava l'altra e tutte e due lavano la faccia», ma con una essenziale variante : la maschera al posto della faccia.

Luigi Pirandello intitolò il suo teatro Maschere nude. Nude, tolte le maschere, dovrebbero essere le facce. Sono invece invisibili, ignote, forse non esistono. Non ci sono che maschere. Non siamo che maschere.

Leonardo Sciascia, Occhio di capra, ed. Einaudi

'NA MANU LAVA L'ANTRA E TUTTI DU LAVANU LA MASCARA.
Ce proverbe sicilien est la traduction de l'expression italienne : «une main lave l'autre, et les deux mains lavent le visage», mais avec une variante essentielle : ici, le masque remplace le visage.


Luigi Pirandello a intitulé son théâtre Masques nus. Une fois les masques enlevés, les visages nus devraient apparaître. Et pourtant, ils sont invisibles, inconnus, peut-être même n'existent-ils pas. Il n'y a que des masques. Nous ne sommes que des masques.

Source de l'image : Site Flickr

dimanche 29 novembre 2009

Ulisse


Nella mia giovinezza ho navigato
lungo le coste dalmate. Isolotti
a fior d’onda emergevano, ove raro
un uccello sostava intento a prede,
coperti d’alghe, scivolosi, al sole
belli come smeraldi. Quando l’alta
marea e la notte li annullava, vele
sottovento sbandavano più al largo,
per fuggirne l’insidia. Oggi il mio regno
è quella terra di nessuno. Il porto
accende ad altri i suoi lumi; me al largo
sospinge ancora il non domato spirito,
e della vita il doloroso amore.

Umberto Saba Mediterranee

J'ai navigué dans ma jeunesse
Le long des côtes dalmates. Des îlots
Émergeaient à fleur d'eau, où parfois
S'arrêtait un oiseau guettant sa proie,
Couverts d'algues, glissants, beaux
Au soleil comme des émeraudes. Quand la marée
Haute et la nuit les annulaient, les voiles
Sous le vent dérivaient plus au large,
Pour en fuir l'embûche. Aujourd'hui mon royaume
Est cette terre de personne. Le port
Pour d'autres allume ses feux ; l'esprit
Indompté me pousse encore au large,
Et de la vie le douloureux amour.

Traduction : Philippe Renard (Anthologie bilingue de la poésie italienne, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, 1994)

Une présentation d'Umberto Saba (en italien)

L'Ulysse de Dante (Inferno, canto XXVI)

Contro Ulisse : demitizzare un modello negativo

Umberto Saba sur le site d'Angèle Paoli, Terres de femmes

On peut lire ici (en italien) un beau commentaire de cette poésie.

Image : Le Mépris, de Jean-Luc Godard

samedi 28 novembre 2009

Perugia, da Porta Sole




Ho rifiutato di fare un «pezzo» su Perugia. È la mia città, non la vedo da dieci anni, mi è troppo cara e troppo sconosciuta ormai. Direi allora tante cose imprecise o non più vere, parlerei di me più che di Perugia. E non vale l'asserzione di un mio amico perugino rivisto qui a Milano da poco. « Perugia non è cambiata. » Non mi fido di lui : dovrei cominciare col ricordare che i perugini sono troppo modesti nel parlare della loro città. Sono il contrario di tanti cittadini che tutti sanno. Io, da lontano, ho sempre pensato invece che a Perugia siano sorti grattacieli. Tanto più che non intralcerebbero nemmeno la vista dei bei panorami, la città essendo adagiata sul vertice di un monte, tutta in discesa.

(...)

Ma è doveroso parlare del «centro». Che del resto è splendido in Perugia. Per chi discende da Porta Sole (splendido panorama, un poco rozzo dunque stranamente contrastante con gli altri. E qui c'è Dante : « onde Perugia sente freddo e caldo / da Porta Sole ») e arriva al fianco del Duomo la strada è davvero bella. A sinistra del Duomo, sulla piazza la celebre fontana dei fratelli Pisano e di fronte il palazzo dei Priori. Se c'è la luna sarà facile ritrovarla sopra. In fondo in fondo s'indovina che il «corso» finirà su l'infinito. Se si percorre infatti completamente, si arriva ad un parapetto dal quale la vista è una delle più belle d'Italia. A sinistra Assisi incassata sul fianco del Subasio, e da tutte le parti la luminosa valle per cui conviene, questa volta, chiamare in aiuto il Carducci (« e il sol nel radiante azzurro immenso / Fin de gli Abruzzi al biancheggiar lontano / Folgora, e con desio d'amor più intenso / Ride a' monti de l'Umbria e al verde piano »). Se, invece, sempre al «corso», s'intacca il già nominato arco dei Priori allora è difficile non trovar lì il forte vento che ne è la prerogativa più illustre. Perugia, si può dire, non manca mai di vento, un po' come Genova o come Trieste, ma senza arrivare alle esagerazioni della «bora». Ma quasi una violenza simile si può ritrovare, talvolta, sotto quell'arco, tanto che la brava mamma avverte di «respirare a bocca chiusa» quando la stagione non è, d'altronde per nessuno, felice. Per il resto Perugia non può lagnarsi del suo clima : non conosce né nebbie né forti caldure.

Sandro Penna Un po' di febbre ed. Garzanti






J'ai refusé de faire un «morceau» sur Pérouse. C'est ma ville, je ne la vois pas depuis dix ans, elle m'est trop chère et trop inconnue désormais. Je dirais donc tant de choses imprécises ou qui ne sont plus vraies, je parlerais de moi plus que de Pérouse. Et l'assertion d'un de mes amis pérugins, que j'ai vu ici, à Milan, il y a quelque temps, n'est pas fondée : « Pérouse n'a pas changé ». Je ne me fie pas à cet ami : je devrais commencer par rappeler que les Pérugins sont trop modestes quand ils parlent de leur ville. Ils sont le contraire de tant de citadins bien connus de tous. Moi, depuis longtemps, j'ai toujours pensé, au contraire, qu'à Pérouse avaient surgi des gratte-ciel. D'autant plus que qu'ils ne gêneraient même pas la vue des beaux panoramas puisque la ville est située au sommet d'une colline, toute en pente.

(...)

Mais il faut absolument parler du «centre». Qui d'ailleurs est splendide à Pérouse. Pour quiconque descend de Porta Sole (panorama splendide, un peu rustre et donc contrastant étrangement avec les autres. Et il faut ici citer Dante : « d'où Pérouse ressent froid et chaleur / depuis Porta Sole ») et arrive au pied du Dôme, la route est vraiment belle. À gauche du Dôme, sur la place, la célèbre fontaine des frères Pisano, et en face le palais des Prieurs. Si la lune brille, il sera facile de la retrouver juste au-dessus. Et tout au fond, on devine que le «cours» se perdra dans l'infini. Si on le parcourt entièrement, on arrive à un parapet d'où la vue est une des plus belles d'Italie. À gauche, Assise, encaissée sur le flanc du Subasio, et de toutes parts, la vallée lumineuse pour laquelle il convient cette fois-ci d'en appeler à Carducci : (« et le soleil dans l'azur immense rayonnant / Des Abruzzes jusqu'aux blêmes lointains / Éblouit, et avec un désir amoureux plus intense / Sourit aux monts de l'Ombrie et à la verte plaine »). Si, en revanche, toujours sur le «cours», on attaque l'arc des Prieurs, déjà cité, il est difficile de n'y pas trouver le vent violent qui en est la prérogative la plus illustre. Pérouse, peut-on dire, ne manque jamais de vent, un peu comme Gênes ou Trieste, mais sans en arriver aux exagérations de la bora. On peut cependant retrouver parfois une pareille violence, sous cet arc, au point que la brave mère avertit de «respirer la bouche fermée» quand la saison n'est, pour personne d'ailleurs, heureuse. Pour le reste, Pérouse n'a pas à se plaindre de son climat : elle ne connaît ni brouillards ni fortes chaleurs.

(Un peu de fièvre, traduction : René de Ceccaty, collection Les Cahiers rouges, Grasset)

Source des images : Site Flickr (1) et (2)

vendredi 20 novembre 2009

Ti prego, non indagare





Campagne e ville di Parma – giorno


Carrelate laterali (camera car) su ville, campagne, giardini, nei dintorni di Parma.


VOCE DI GINA. Prima di tutto perdonami e ti prego, non indagare... Sono così delicata che mi sentirei di colpo in prigione. Non capisco se in te c'è solo curiosità o qualcosa d'altro, qualcosa di più... ma mi sono accorta che tu ti sei accorto. La tua faccia si abbuia tutta insieme. La tua faccia si rischiara tutta insieme. C'è solo un rimedio alle mie pene: gli altri, le persone, tu... E c'è la medicina della noia che mi ha portato fin qui, dalla lontana città di Milano. Qui è in corsa parallela con le ville che si rincorrono. Le nuvole rincorrono altre nuvole e tu rincorri me che rincorro te... Mio nipotino parmigiano. Senza dirti niente ti ho detto tutto... Non indagare, non indagare, non indagare.



Campagnes et villas de Parme – jour


Suite de travellings latéraux (en voiture) sur des paysages des alentours de Parme : des arbres, des grilles...


VOIX DE GINA. Avant tout, pardonne-moi... et je t'en prie, ne cherche pas à comprendre. (Un champ) Je suis si fragile que je me sentirais tout de suite en prison. (Vers une villa) Je ne comprends pas s'il y a seulement de la curiosité en toi, ou quelque chose d'autre, de plus. (La même villa) Mais je me suis aperçue que tu t'en es aperçu. Ton visage s'obscurcit tout d'un coup. Ton visage s'éclaire tout d'un coup. (Des villas) Il n'y a qu'un remède à mes peines : les autres. (Des arbres) Les personnes, toi. Et il y a le remède de l'ennui, qui m'a amenée jusqu'ici, loin de Milan. Ici, en course parallèle, avec les villas qui se poursuivent. Les nuages poursuivent d'autres nuages. Et toi, (des cyprès) tu me poursuis, moi qui te poursuis. (D'autres arbres, d'autres villas.) Mon petit neveu de Parme. Sans rien te dire, je t'ai tout dit. Ne cherche pas à comprendre. Ne cherche pas à comprendre. Ne cherche pas à comprendre.

Extrait du découpage de Prima della Rivoluzione, de Bernardo Bertolucci.





Source des images : Site Meddle TV


dimanche 1 novembre 2009

Infine, scendiamo verso il mare



Infine, scendiamo verso il mare.

In Sardegna si sente sempre, a cento e cento chilometri dalle coste, che splende nell'aria da ogni lato. È una vera isola, Sardegna, dentro il suo splendore e le sue tempeste. E di qualcosa di salmastro odora anche su a mille metri. Ma qui in special modo.

La terra è saccheggiata dal maestrale. Che non soffia, intanto. Lunghe terre oscure appaiono sospese nell'aria, dove la pianura scoscende. Là è il mare ; quell'aria. Disabitato come la luce del Primo Giorno. Ma gli alberi sono piegati dal maestrale e hanno il fogliame arrovesciato, come chiome da pettinare. Anche i cespugli. Tutta la pianura arrovesciata. Si direbbe che il vento s'è arrestato ora di colpo. E le case di Castelsardo, sul pollaio della rocca, al sole, sono accovacciate anch'esse per la trascorsa furia.

La macchina piglia la rincorsa verso lassù.

Poi ci si trova in una specie di cortile ch'è la piazza del paese. Mura di bastioni, intorno, in cima ai quali passeggia una sentinella. C'è un fico in un angolo, e sotto al fico sgocciola una fontana.

Calma gente è in fila, lungo un parapetto, e parte guarda dentro il mare, parte a cavalcioni del muro ci osserva, non per qualche curiosità, ma perché, oltre i ciottoli del selciato, e il fico, e la fontana, ci siamo anche noi, oramai, nella piazza. Se ci fermassimo, a pranzo, o a passare la notte, diverremmo oggetto d'ospitalità. Così invece, scesi appena a dare uno sguardo e ripartire, non ci degnano d'una parola. Troppo giusto.

Ma su per le gradinate dei vicoli, ci sono donne che cantano, dondolando il capo, e, appena passiamo, balzano in piedi e fuggono verso le case, con risa sommesse come di scolarette sorprese fuori dai posti a far baccano. In mano hanno certi gingilli a cui lavorano ; cestini, fatti di foglie di palmizio, a disegni di nero sul bianco, e con essi, per ridere più libere, si coprono il volto.

Elio Vittorini Sardegna come un'infanzia, ed. Bompiani

Donne sarde :

Signora di Sadali

Tzia Raffiella Monni ("Il più ricco che c'era ai miei tempi è come la persona più povera che c'è oggi. Vedi com'è strana la vita ! Mah !?")

Source de l'image : Site Flickr.

vendredi 30 octobre 2009

L'airone




Plus loin, plus près de la mer, au paysage on ne distinguait plus de formes, plus de lignes clairement identifiables, plus de volumes : étroites vallées sinueuses et plateaux énormes s'étaient entre-temps confondus, il n'y avait plus de consistance démêlable à la musique immobile et sourde qu'ils émettaient en silence, plus d'épaisseur ; ce n'était plus une masse, même savamment différenciée, c'était une pure opalescence diaphane, à peine une vibration, une clarté voilée, tout occupée d'elle-même n'étant clarté de rien, clarté sur rien sinon sur des ajoncs au bord d'une eau blanche qu'un envol ridait – un revers de la main, un frémissement de héron, un changement du vent et la voici argentée puis bleu pâle, et blanche de nouveau.

Renaud Camus Loin (pages 200-201) éditions P.O.L


L'altro non rispose. Era già tornato a rialzarsi. Col busto girato di tre quarti, stava guardando verso destra, in alto.
Si mise a scrutare anche lui il cielo, nella stessa direzione et vide subito un uccello isolato che, a un centinaio di metri di quota, stava lentamente avvicinandosi.
« Che cos'è ? » domandò.
« Dovrebbe essere un airone », disse Gavino.
Si trattava di un uccello piuttosto grosso : con due ali grandi, molto grandi, però sproporzionate rispetto al corpo che invece era piccolo, gracile. Veniva avanti con fatica evidente, arrancando. Il lungo collo a esse, stretto fra le scapole ; le vaste ali marrone, di una pesantezza da stoffa, aperte a tirarsi sotto la pancia il maggior volume di aria possibile : sembrava non farcela a tagliare di traverso il vento, e anzi in procinto ad ogni istante di venire travolto, d'essere spezzato via come uno straccio.
« Che buffa bestia ! », pensò.
Lo vide sorvolare adagio il pezzo di laguna che separava la barena dalla botte, e quindi sospendersi a perpendicolo sopra le loro teste : fermo, in pratica, e perdendo via via un po' di quota. Ad attirarlo a questo punto erano di sicuro i richiami. Ma prima ? Fino a poco fa, insomma ? Che buffa bestia ! Valeva la pena di chiedersi che cosa lo avesse indotto a volare tanto a lungo così, contro vento o quasi, che cosa fosse venuto a cercare talmente lontano dalle rive, nel mezzo della valle.
« Non credo che sia buono da mangiare », disse.
« Ha ragione » assentì Gavino. « Sa di pesce, preciso al coccale. Ma impagliato fa sempre il suo effetto. »
L'airone si abbassò ancora. Ormai se ne scorgevano chiaramente le zampe magre come stecchi, tese all'indietro, il becco grande, a punta, la testina da rettile. Di colpo, tuttavia, quasi spossato dallo sforzo compiuto, oppure come se fiutasse qualche pericolo, si rovesciò sul dorso, e, riprendendo quota, in pochi secondi scomparve in direzione del campanile di Pomposa.

Giorgio Bassani L'airone ed. Mondadori



L'autre ne répondit pas. Il s'était déjà redressé. Le buste tourné de trois quarts, il regardait vers la droite, en haut.
Alors il se mit lui aussi à scruter le ciel, dans la même direction ; et il vit presque aussitôt un oiseau isolé qui, à une centaine de mètres d'altitude, avançait lentement vers eux.
« Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il.
– Ça doit être un héron », dit Gavino.
C'était un oiseau plutôt gros, avec deux grandes ailes, très grandes mais disproportionnées par rapport au corps, lequel, par contre, était petit et gracile. Il volait avec une peine évidente, en souquant. Son long cou en forme de S serré entre ses omoplates, ses vastes ailes marron, d'une pesanteur d'étoffe, déployées pour attirer sous son ventre le plus grand volume d'air possible, il semblait ne pas parvenir à fendre le vent et, même, sur le point, à chaque instant, d'être entraîné, balayé comme un chiffon.
« Quelle drôle de bête ! » pensa-t-il.
Il le vit survoler la partie de lagune qui séparait le banc de sable de la tonne, puis s'arrêter perpendiculairement au-dessus de leurs têtes : immobile, à peu près, et perdant graduellement de l'altitude. Ce qui l'avait attiré à cet endroit, c'était sûrement les leurres. Mais avant cela ? Bref, il y avait encore quelques instants ? Quelle drôle de tête ! Cela valait vraiment la peine de se demander ce qui avait bien pu l'inciter à voler aussi longtemps ainsi, avec le vent debout ou presque, et ce qu'il était venu chercher aussi loin des rives, au milieu du marais.
« Mais je ne crois pas qu'ils soient bons à manger, dit-il.
– Vous avez raison, acquiesça Gavino. Ils ont un goût de poisson, exactement comme les mouettes. Mais empaillé, un héron, ça fait toujours son effet. »
Le héron descendit encore. À présent, on distinguait nettement ses pattes aussi maigres que des allumettes, tendues vers l'arrière, son grand bec pointu et sa petite tête de reptile. Tout à coup, néanmoins, comme épuisé par l'effort qu'il venait de faire ou comme si, brusquement, il avait flairé un danger, il se renversa sur le dos et, reprenant de l'altitude, disparut en quelques secondes dans la direction du campanile de Pomposa.

Traduction : Michel Arnaud (éditions Gallimard).

Le Roman de Ferrare, cycle de romans et nouvelles dont Le Héron fait partie, est disponible en français dans la collection Quarto.

Source de l'image : Site Flickr

mercredi 28 octobre 2009

Sono solo canzonette (4)


Lontano Lontano (1966), de (et par) Luigi Tenco :



Lontano lontano nel tempo
qualche cosa
negli occhi di un altro
ti farà ripensare ai miei occhi
i miei occhi che t'amavano tanto.

E lontano lontano nel mondo
in un sorriso
sulle labbra di un altro
troverai quella mia timidezza
per cui tu
mi prendevi un po' in giro.

E lontano lontano nel tempo
l'espressione
di un volto per caso
ti farà ricordare il mio volto
l'aria triste che tu amavi tanto.

E lontano lontano nel mondo
una sera sarai con un altro
e ad un tratto
chissà come e perché
ti troverai a parlargli di me
di un amore ormai troppo lontano.

(Et loin, très loin dans le temps,
quelque chose dans les yeux d'un autre
te fera repenser à mes yeux,
ces yeux que tu aimais tant.

Et loin, très loin dans le monde,
dans un sourire sur les lèvres d'un autre,
tu retrouveras ma timidité
dont tu te moquais si souvent.

Et loin, très loin dans le temps,
par hasard, l'expression d'un visage
te fera repenser à mon visage,
à cet air triste que tu aimais tant.

Et loin, très loin dans le monde
un soir tu seras avec un autre
et soudain, sans que tu saches ni pourquoi ni comment,
tu te mettras à lui parler de moi,
de cet amour désormais si lointain.)

Lontano Lontano, adaptée et chantée en français par Dalida.

Preghiera in gennaio, une chanson de Fabrizio de André dédiée à Luigi Tenco :


Ascolta la sua voce
che ormai canta nel vento
Dio di misericordia
vedrai, sarai contento.



Source de la video : Site YouTube

dimanche 25 octobre 2009

Ed è la Morte




VICIU CROZZA. «Viciu» abbrevia il nome Vincenzo, «Crozza» è il teschio, ma qui fa da cognome al nome. Vincenzo Teschio, dunque : ed è la Morte. Non la morte che viene per prendere, ma quella che appare per ammonire. « Cu nun dunìa li venniri di marzu ci agghiorna Viciu Crozza a lu capizzu » (Chi non digiuna nei venerdì di marzo si troverà al mattino con la morte al capezzale) : ed è da notare la parola «dunìa», in cui nel vernacolo racalmutese si è corrotta l'altra, «diuna», coesistente in Sicilia e più diffusa ; sicché indifferentemente si dice «duniari» e «diunari». In quanto a Viciu Crozza, è probabile che le due parole abbiano trovato legame in qualche immagine di San Vincenzo con accanto un teschio ; a meno che non ci sia stato nel paese, in anni lontanissimi, un «Viciu» soprannominato «Crozza» per la consunzione del volto : al punto di spaventare – e specialmente i bambini, ai quali il distico ammonitore si usava recitare – come imago mortis.

Leonardo Sciascia Occhio di capra, ed. Einaudi

VICIU CROZZA. «Viciu» est le diminutif du prénom Vincenzo ; «Crozza» est le crâne (la tête de mort), qui accompagne le prénom comme un nom de famille. Vincent Crâne, donc : et c'est la Mort. Non pas la mort qui vient pour prendre, mais celle qui apparaît pour avertir. « Cu nun dunìa li venniri di marzu / ci agghiorna Viciu Crozza a lu capizzu » (Qui ne jeûne pas les vendredis de mars / Se réveillera avec la mort à son chevet). Pour ce qui concerne Viciu Crozza, il est probable qu'une image représentant saint Vincent à côté d'un crâne a dû contribuer à créer un lien entre ces deux mots ; à moins qu'il n'y ait eu autrefois dans un village un «Viciu» surnommé «Crozza» (tête de mort) à cause de la consomption de son visage, au point de devenir une imago mortis épouvantant tout le monde – et plus spécialement les enfants que l'on avait coutume de mettre en garde en leur récitant ce distique.

Pour compléter le texte de Sciascia, on peut citer une autre référence à la «crozza» (la tête de mort) dans la célèbre chanson populaire sicilienne Vitti 'na crozza (J'ai vu la mort) :

Vitti 'na crozza supra nu cannuni
Fui curiuso e ci vosi spiari
Idda m'arrispunniu cu gran duluri
Murivi senza tocco di campani.

Si nni jeru si nni jeru li me anni
Si nni jeru si nni jeru nun sacciu unni
Ora ca sugnu vecchiu di uttant'anni
Chiamu la morti i idda m'arrispunni.

Cunzatimi cunzatimi lu me lettu
Ca di li vermi sugnu mangiatu tuttu
Si nun lu scuntu cca lu me piccatu
Lu scuntu a l'autra vita a chiantu ruttu.

(J'ai vu un crâne au-dessus d'une tour
Par curiosité, je l'ai interrogé
Et il m'a répondu bien tristement
Je suis mort sans que pour moi sonne le glas.

Ma vie s'est enfuie
Elle s'est enfuie je ne sais où
Maintenant que j'ai plus de quatre-vingts ans
J'appelle la mort et elle me répond.

Préparez-moi un lit
Car les vers déjà me dévorent
Si je n'expie pas ici mes péchés
Je les expierai dans l'autre monde à force de sanglots.)

On entend cette chanson en ouverture du film de Pietro Germi Il Cammino della speranza (1950) :





À propos de Vitti 'na crozza (1)

À propos de Vitti 'na crozza (2)

À propos de Vitti'na crozza (3)



Image : peinture de Jean-Paul Marcheschi (Vanité, détail)

Photo : Renaud Camus (Site Flickr)