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mardi 22 décembre 2009

Il ratto di Elena



L'Idée, a-t-on pensé, est la mesure de tout,
D'où suit que «la sua bella Elena rapita», dit Bellori
D'une célèbre peinture de Guido Reni,
Peut être comparée à l'autre Hélène,
Celle qu'imagina, aima peut-être, Zeuxis.
Mais que sont des images auprès de la jeune femme
Que Pâris a tant désirée? La seule vigne,
N'est-ce pas le frémissement des mains réelles
Sous la fièvre des lèvres? Et que l'enfant
Demande avidement à la grappe, et boive
A même la lumière, en hâte, avant
Que le temps ne déferle sur ce qui est?

Mais non,
A pensé un commentateur de l'Iliade, anxieux
D'expliquer, d'excuser dix ans de guerre,
Et le vrai, c'est qu'Hélène ne fut pas
Assaillie, ne fut pas transportée de barque en vaisseau,
Ne fut pas retenue, criante, enchaînée
Sur des lits en désordre. Le ravisseur
N'emportait qu'une image: une statue
Que l'art d'un magicien avait faite des brises
Des soirées de l'été quand tout est calme,
Pour qu'elle eût la tiédeur du corps en vie
Et même sa respiration, et le regard
Qui se prête au désir. La feinte Hélène
Erre rêveusement sous les voûtes basses
Du navire qui fuit, il semble qu'elle écoute
Le bruit de l'autre mer dans ses veines bleues
Et qu'elle soit heureuse.

Yves Bonnefoy La Vie errante, (De vent et de fumée, extrait), Poésie / Gallimard



Image : Guido Reni, Il ratto di Elena (Musée du Louvre)

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