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mardi 12 janvier 2010

Monviso




Un extrait du journal 2007 de Renaud Camus, Une chance pour le temps, qui vient de paraître aux éditions Fayard :

Nous avons fait la petite traversée du Piémont des collines que nous avions dû sacrifier dimanche dernier à l'exposition Gilbert & George de Rivoli. Le pays, beaucoup trop densément habité, est terriblement abîmé. L'industrie du vin (d'Asti) a jeté partout ses fabriques, ses chais de tôle ondulée, ses stands de dégustation et de commerce. Les maisons sont laides, en général, et tout ce qui a été construit depuis un demi-siècle et plus est affreux. Mais le paysage a dû être admirable, et hier, sous un magnifique soleil d'automne, velouté par les rouges et les ors de la vigne, il parvenait presque, en de certains replis de ses vagues ondulées, à faire oublier les terribles ravages qu'il a subis. Les villages, sur leurs promontoires successifs, sont dominés presque tous par d'énormes châteaux ou des tours, d'époque médiévale pour la plupart. Nous nous sommes arrêtés à ceux de Grinzane Cavour, qui fut à Cavour et à sa famille avant lui, et de Serralunga d'Alba, magnifique haute tour militaire aux ouvertures romanes et gothiques.



Mais ce qui donne à ces contrées leur cachet unique, c'est le grand cirque des Alpes, de plus en plus en évidence à mesure que le soir tombe et le ciel blanchit. Il dessine plus qu'un demi-cercle, un grand arc outrepassé, aux neiges sans doute éternelles. Des hautes collines du sud-est on le voit enserrer tout ce beau royaume, le Piémont, qui ainsi a vécu dans la paume de la main de cet énorme et sublime Shangri-la. En général, et malgré les avertissements de Nietzsche, on ne suppose pas tant de personnalité à cette région que le voyageur, le plus souvent, ne fait que traverser en route vers les plaines où le Pô prend ses aises, en aval, ou bien vers l'Arno, ou encore vers le Tibre. Mais on se dit qu'il doit exister, ou avoir existé, un fort sentiment d'orgueil piémontais, ou d'amour piémontais de la terre natale, à la voir aussi sublimement close de sommets étincelants. Le mont Viso, en particulier, doit être une obsession pour les habitants de ces contrées. On le voit de partout et on ne voit que lui, tant il domine de haut, pyramide acérée, tous les autres sommets. Je ne m'explique pas ce phénomène d'ailleurs : non seulement il paraît très isolé, mais tous les pics plus élevés que lui – et il doit bien y en avoir, ne serait-ce que le mont Blanc... – semblent absents de la ligne d'horizon. On dirait que tout ce qui pourrait lui faire ombrage s'efface en son honneur. Et il préside des heures durant à la traversée de ces contrées fortunées : le crépuscule ne l'efface pas, il ne disparaît qu'à la nuit noire.

Source des images : (1) Renaud Camus (Site Flickr) (2) Site Flickr

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