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vendredi 26 février 2010

La pietra e l'oro


Un autre extrait du livre de Vittorio Sgarbi L'Italia delle meraviglie, consacré au tableau du Parmigianino La Madonna col Bambino, i santi Stefano e Giovanni Battista e il committente, l'une de ses dernières oeuvres (1540), un retable peint pour l'église Santo Stefano de Casalmaggiore. Le tableau se trouve aujourd'hui à la Gemäldegalerie de Dresde :

A Casalmaggiore, Parmigianino réalise ses plus importants chefs d’œuvre. L’un d’eux est La Madone avec l’Enfant, saint Etienne, saint Jean-Baptiste et le donateur : il n’ y a pas d’œuvre plus métaphysique, plus absolue que celle-là. Avec elle, la peinture devient pensée pure et le penser divin – le «deus sive natura» dont je parlais précédemment – se manifeste parce que la divinité s’incarne dans la peinture, en une sorte de processus alchimique. L’idée que l’or soit la chose la plus précieuse que nous possédions – comme dans l’histoire du roi Midas, qui transformait tout ce qu’il touchait en or – s’exprime tout entière dans la Madone avec l’enfant : le pinceau, grâce à l’habileté du geste, permet de rejoindre Dieu. Aucun autre tableau, même pas ceux de la Steccata, n’a la portée métaphysique de celui-ci, dans lequel les deux saints au premier plan sont représentés comme des prophètes antiques. L’un d’eux tient dans sa main une sorte de pierre philosophale semblable à un œuf d’où (comme dans la merveilleuse métaphore de Piero della Francesca) surgit la divinité, la Vierge, laquelle pour la première fois est une Vierge très lointaine. Parmigianino a toujours peint des Vierges proches et immanentes, puissantes et magnifiques, d’une grâce merveilleuse, comme, par exemple, La Madone au long cou. Toutefois, quand il arrive à Casalmaggiore, il place cette Madone à l’arrière-plan, au loin, dans une lumière extraordinaire qui déchire les nuages, comme si elle était née de la pierre que saint Etienne tient dans sa main (d’ailleurs, son martyre fut justement la lapidation). A-t-on jamais vu un retable où la Madone soit plus petite que les Saints ? Quel renversement ! Parmigianino invente ce schéma inversé des deux héros humains, trop humains, qui prévalent sur la Vierge, et une vie nouvelle commence pour lui dans le brouillard de Casalmaggiore. Une vie nouvelle dont il n’aurait jamais pu concevoir la brusque interruption puisque Parmigianino ignorait qu’il était destiné à mourir prématurément, et les œuvres de Casalmaggiore, comme la Lucrèce, sont le début, brutalement interrompu, de sa dernière période. Qui sait pour quelles raisons sa vie s’achève à trente-sept ans, à Casalmaggiore, juste au moment où il allait transformer le Maniérisme – qui influencera tous les artistes futurs – en quelque chose qui ressemble à une peinture métaphysique, semblable à l’œuvre de John Donne. Quelque chose, donc, où la peinture parvient à dire Dieu.

Vittorio Sgarbi L'Italia delle meraviglie (pages 27-30), ed. Bompiani

(Traduction personnelle)


Image : Wiki Commons (la reproduction ici proposée, sombre et terne, ne rend vraiment pas justice à ce merveilleux tableau, mais je n'ai rien trouvé de mieux sur la Toile...)

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