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jeudi 4 avril 2013

L'Atelier du peintre



"Adì 25, mercoledì : la luna opositione.

Adì 26 cominciai quello braccio di quel bambino che gl'è sotto
Venerdì mi levai una hora inanzi dì e feci quel torso dal braccio in giù.

Sabato feci una coscia e fecesi la festa della tregua ; e la sera cossi uno viso di cavretto.
Adì 29, domenica dell'ulivo, desinai con Bronzino.
Lunedì feci la testa di quel putto
Martedì feci in casa non so che.

Adì primo d'aprile, mercoledì, feci questa altra coscia con tucta la gamba e'l pie'.

Giovedì sancto.
Venerdì mi levai a buon'ora e feci quel torso di bambino
Giovedì feci le gambe, adì 9.
Venerdì uno campo azurro ; e andai a cena con Piero.

Sabato feci sotto a le finestre, di verso la Sacrestia vechia, quella pietra, e intorno a quella figura che vi va ; e mandai gli sparagi, e non vi cenai, a casa Piero."

Jacopo da Pontormo Diario



"Out, out, brief candle !
Life's but a walking shadow"

Shakespeare Macbeth V, 5







J’ai quelquefois le sentiment d’avoir été ensorcelé, d’être la victime (plus ou moins consentante) d’un sort, d’un châtiment (mais pour quels crimes commis ?) qui fait de moi, tant les fins de journées de travail sont rudes et redoutables, un forçat. Pourquoi alors est-ce que je continue quand même ? Pourquoi donc, si rien ne m’y oblige ?

Quel lieu d’enfer devient le soir, l’atelier que je quitte dans la nausée comme un voleur !

Et pourtant j’aime cette fatigue, si grande souvent à la fin de la journée. À l’épreuve du feu, la fatigue fait remonter le corps et supprime un certain état de la pensée.

Fatigue du mental et pas seulement musculaire, scission enfin réduite, sinon abolie, où rien n’est refoulé, fusion, séparation : tout participe de tout, épines d’or, ligne de feu, noire aurore, en un bloc précieux comme le sommeil.





L’atelier est un bien mystérieux théâtre. C’est un lieu invivable et cependant je ne peux pas me passer d’y aller chaque jour. Y a-t-il un seul endroit qui soit plus séparé du monde ?

Vidé par les substances innommables qui sans cesse y transitent, ce lieu est un non-lieu, c’est un lieu qui n’appartient pas. Ni à moi ni à personne. Un territoire neutre, impersonnel. Un territoire commun. Sol instable, et en même temps borne dont j’ai absolument besoin pour ne pas m’effondrer, il est ma thébaïde, ma caverne, mon utérus, ma prison, mon abri, mon blockhaus, mon sémaphore, l’objet de mon exécration. L’atelier est un anti-théâtre, mais aussi un tombeau. Toute ma peinture découle – matériellement et physiquement – de ce lieu. Elle est moulée dedans. C’est l’entrée de la mine, le gisement de l’âme, c’est mon antre, ma réserve de ténèbres, ma forteresse vide, mon château intérieur, mon Plieux, mon Silling. De cette gare – cette plate-forme de navire, ce front, cet avant-poste pour ma drôle de guerre, ce mirador, ce trou noir – de l’atelier, chaque jour, je ressors plus sale et plus taché.


Jean-Paul Marcheschi Le Livre du sommeil éditions Somogy, 2001











Images : en haut et au milieu (Source)

en bas (Source)

Source de la vidéoSite YouTube

3 commentaires:

  1. Grazie Emmanuel, è bello!

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  2. Comment sentez-vous, Emmanuel, que c'est le moment juste de faire remonter cette page ? Juste, terriblement. A chacun ses outils, son matériau, son support mais c'est là, oui, c'est là dans l'antre qu'après des heures de combats, de maîtrise, on lâche prise et qu'on se laisse guider par son corps, la mémoire de son corps. Que l'on fait confiance à ses mains et qu'on décolle. Ça peut être fugitif ou plus durable, une sorte de grâce, un plaisir extrême de s'approcher de la toile jusqu'à faire corps avec elle. Magie du feu et des cires pour lui, magie des couleurs , de la caresse du pinceau, des tons qui s'appellent, se fondent, se superposent, nous guident pour d'autres, crissement du fusain ou légèreté extrême de l'aquarelle... Alors, où est-on ? et qu'importe... Le monde respire doucement, accordé... ou hennit comme un cheval fou dans l'éclaboussure des couleurs. C'est comme si le dehors devenait le dedans, l'immensité, l'intériorité, un deux qui devient un dans un bonheur absolu.
    Mais la beauté se cueille là dans son extrême péril, sa faille, sa mort. On peut perdre cet instant d'harmonie parfaite et se retrouver dans ce lieu invivable, incarcéré, une toile déchirée , un dessin brûlé.
    En 2011, je ne connaissais pas votre blog, je crois... sinon, comment aurais-pu ne pas vous laisser une empreinte...
    Ces photos sont très belles et ce film comme une danse lente de deux bêtes qui se hument avant de s'accoupler.
    Merci... merci...merci...

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    1. Oh, ces "remontées" sont tout à fait aléatoires ! Ce sont des messages anciens que j'aime particulièrement, et je suis heureux de penser qu'ils seront vus (et parfois lus) par quelques visiteurs supplémentaires. Merci en tout cas de vos remarques, toujours très pertinentes.

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