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dimanche 17 avril 2011

L'Invitation



"Leporello, le premier, désigne les Masques à Don Juan. Don Juan ordonne de les inviter. Ces deux phrases chantées représentent les basses ornementées du thème. Les Masques répondent en trio ; ils chantent l'air du Menuet même – sur quoi ils prononcent ces stupéfiantes paroles : «À son visage et à sa voix le traître se reconnaît». À ce moment, Leporello appelle : Zi, zi ! Signore maschere !, et les Masques poussent Ottavio à répondre. Leporello reprend de manière plus pressante et grave, avec une légère hâte. Don Ottavio dit : «Que demandez-vous ?», enfin Leporello formule tout au long l'invitation : Al ballo, se vi piace, v'invita il mio Signor. À son tour, Ottavio remercie, Leporello assure pour terminer que l'amico (son maître) sera généreux d'amour envers les dames.


La précision du mécanisme est grande. C'est pourquoi il convient peut-être de remarquer que Mozart indique une seule fois de piquer les quatre croches au violon : dans la première exposition de l'élément II, et à l'instant de l'invitation proprement dite : Al ballo, se vi piace... Faut-il voir là un point extrême de subtilité, ou s'agirait-il d'un caprice de l'écriture ? Encore une fois tout ce phénomène se déroule comme un mouvement d'horlogerie, et il est indispensable de noter la précision du détail pour saisir le fond des choses.

On invite les Masques – donc des inconnus, et qui garderont le droit de l'être. L'invitation se fait sur un mode accentué de cérémonie, l'on aurait presque envie de dire un mode rituel. Il est évident que la petite musique lointaine est à cette heure le «masque» même, et que derrière le masque se trouve – la Mort. Le chant de Leporello, trop lourd pour le Menuet suave, et ponctué par le dessin obstiné du cor ; son épaisseur rythmée qui devient à la fois chaude et lugubre ; l'obstination fatale de tout l'agencement, – ceci signifie que l'on invite à entrer dans la fête, dans la maison de Don Juan, dans Don Juan, le trio noir des victimes, la némésis – appelée par la mort du Commandeur – c'est-à-dire enfin la puissance étrangère à l'éros, la Mort.

D'où le mouvement exact comme celui du pendule, d'autre part la perfection formelle. Il est vrai que par la beauté, cette coulée brillante de la mort dans la matière vive correspond aussi à une censure, la censure contre la mort ; cependant on voit, en-dessous, percer la force brute qui va détruire."

Pierre-Jean Jouve Le Don Juan de Mozart








«ANDIAM, COMPAGNE BELLE...»

Don Giovanni, I, 3

Les lampes de la nuit passée, dans le feuillage,
Brûlent-elles encor, et dans quel pays ?
C'est le soir, où l'arbre s'aggrave, sur la porte.
L'étoile a précédé le frêle feu mortel.

Andiam, compagne belle
, astres, demeures,

Rivière plus brillante avec le soir.
J'entends tomber sur vous, qu'une musique emporte,
L'écume où bat le cœur introuvable des morts.

Yves Bonnefoy Pierre écrite Editions Gallimard






«ANDIAM, COMPAGNE BELLE...»

Don Giovanni
, I,3


I lumi della trascorsa notte, nel fogliame,
Ardono ancora, e in quel paese ?
È sera, quando l'albero, sulla porta, si aggrava.
La stella ha preceduto la fragile fiamma mortale.

Andiam, compagne belle, astri, dimore,
Fiume più scintillante nella sera.
Sento cader su voi, travolti in una musica,
La schiuma ove batte il cuore introvabile dei morti.

Traduzione
: Diane Grange Fiori








Images
: en haut, Don Giovanni (Joseph Losey)

au centre : Site Flickr

Source de la vidéo : Site YouTube

8 commentaires:

  1. Je ne comprends pas cette page, Emmanuel. Ces masques ? Ce texte très fort mais pour moi hermétique. Pourriez-vous m'aider ? Je sens que c'est important.

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  2. Chère Christiane, je ne sais pas trop quoi vous dire ; j'ai voulu rapprocher ici le poème de Bonnefoy et le texte de Jouve qui parlent l'un et l'autre du Trio (toujours le chiffre trois, si présent chez Mozart) des Masques à la fin du premier acte de "Don Giovanni".

    Il s'agit en fait de l'annonce, en plein cœur de la fête, de la mort prochaine du séducteur. Bonnefoy évoque le "frêle feu mortel" qui va consumer Don Juan à la fin de l'œuvre. Il y a la musique, la danse, l'invitation, et la mort qui s'insinue, sous le masque...

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  3. Merci, Emmanuel. La mort avance toujours masquée et cet opéra est bien beau.

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  4. http://www.cairn.info/revue-etudes-2005-9-page-213.htm

    Il me semble que cette méditation va vous combler...

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  5. L'idée du Destin et du "visage" qu'il assume, peut-être?

    En invitant la musique, la danse et le masque "galante," il invite sa propre mort au milieu d'eux, lui, l'ultime masque du galant. Or, ce "hasard fatal" qui constitue normalement le ressort de la tragédie tombe étrangement à l'eau dans les flammes de l'enfer devant lesquelles Don Giovanni refuse de se repentir (le fou!).

    Cette censure contre la mort, alors que celle-ci avance dans sa mécanique implacable, et le refus de se repentir créent un malaise lancinant qui, je trouve, résonnent plus fort que n'importe quelle tragédie où le héros paie pour sa faute en même temps qu'il la comprend (et qu'il déplore, souvent).

    Certaines fêtes brillantes sont en réalité lugubres lorsqu'elles masquent la vanité et les crimes...

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  6. Il faut également prêter attention à la fin du passage, cette lente prière accompagnée à l'orchestre par les seuls instruments à vent (elle est magnifiquement interprétée dans l'extrait-vidéo par L. Gencer, T. Stich-Randall et L. Alva) qui a aussi quelque chose à voir avec cette écume "où bat le cœur introuvable des morts"...

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  7. "Andavano così tra l'avena selvatica,
    e le loro parole le udì solo la notte..."

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