Translate

jeudi 29 novembre 2012

Fuoco e ghiaccio (Le feu et la glace)





 


  CXXXIV

Pace non trovo e non ò da far guerra ;
e temo, e spero ; e ardo e son un ghiaccio ;
e volo sopra 'l cielo, et giaccio in terra ;
et nulla stringo, et tutto 'l mondo abbraccio.

Tal m'à in pregion, che non m'apre né serra,
né per suo mi riten nè scioglie il laccio ;
et non m'ancide Amore, e non mi sferra,
né mi vuol vivo, né mi trae d'impaccio.

Veggio senza occhi, e non ò lingua, et grido ;
et bramo di perir, et cheggio aìta ;
et  ò in odio me stesso, et amo altrui.

Pascomi di dolor, piangendo rido ;
egualmente mi spiace morte et vita.
In questo stato son, Donna, per voi.

Francesco Petrarca  Canzoniere 






CXXXIV

Je ne trouve pas la paix et ne puis faire la guerre ;
et je crains, et j'espère ; je brûle et suis de glace ;
et je vole au plus haut du ciel, et gis en terre ;
et je n'étreins rien, et j'embrasse le monde entier.

Quelqu'un m'a mis en prison, qu'il ne m'ouvre ni ne ferme,
il ne me retient pas, et ne dénoue pas mes liens ;
et Amour ne me tue pas, ni ne m'ôte les fers,
il ne me veut pas vivant, et me refuse tout secours. 

Je vois sans yeux, et privé de langue, je crie ;
et je désire la mort, et réclame de l'aide ;
et je me hais moi-même, et je chéris autrui.

Je me rassasis de douleur, je ris en pleurant ;
je déteste également la mort et la vie.
Voyez en quel état je suis, Madame, pour vous.

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Site Flickr

au centre, Andrea Okroglic  (Site Flickr)

en bas, Iacopo Mazzucato  (Site Flickr)




dimanche 25 novembre 2012

Voir l'obscur



"Così andammo infino a la lumera,
parlando cose che 'l tacere è bello,
sì com'era 'l parlar colà dov'era."








Le premier volume des Notes d'un peintre de Jean-Paul Marcheschi était consacré à Monet (Camille morte, Notes sur les Nymphéas), le deuxième à  Piero della Francesca (Lieu clair), le troisième à Pontormo, Rosso Fiorentino et au Greco (La déposition des corps) ; un quatrième volume vient de paraître, Voir l'obscur (comme les trois autres, aux éditions nantaises Art 3) ; il y est question de Goya, et plus particulièrement des Pinturas negras (Peintures noires), cette série de quatorze œuvres peintes entre 1820 et 1823 sur les murs de la ferme qu’il avait achetée dans les environs de Madrid, la Quinta del Sordo (la Maison du Sourd). Et une fois de plus, on a l’impression de redécouvrir une œuvre que l’on croyait pourtant bien connaître. La force du livre de Marcheschi, et son originalité, c’est justement de proposer le regard d’un peintre, un regard rapproché, à la loupe, «comme s’il s’agissait de pierres, de corps invisibles, de frottis»,  sur ces tableaux célèbres et pourtant mystérieux ; il nous conduit, en une suite de fragments – à la manière du Barthes de Sur Racine, ou de Sade, Fourier, Loyola, avec qui il partage la finesse et la profondeur de l’interprétation d’une œuvre – à mieux voir, à pénétrer dans l’obscurité lumineuse, si l’on peut hasarder cet oxymore, des Peintures noires. Les intuitions sont si fortes, les références si bien choisies (il y a notamment un magnifique rapprochement entre La Mort d’Ivan Illich de Tolstoï et le tableau de 1820 où Goya se représente à côté du docteur Arietta), l’approche si précise et en même temps si sensible que le lecteur suit avec fascination ce guide exceptionnel dans ses analyses, ou plutôt ses visions enthousiastes (au sens premier du terme : transport divin, délire sacré), ses fulgurances (je pense par exemple à sa saisissante évocation du Saturne, considéré comme un autoportrait, et une sorte d’auto-dévoration du peintre). 






L’ouvrage s’intitule Voir l’obscur et il est divisé en deux parties : la première est consacrée à Goya, la seconde est constituée de réflexions liées plus spécifiquement à l’œuvre de Marcheschi, et à son rapport à l'ombre, au sommeil, aux songes. Ce qui unifie les deux parties, c’est donc le thème de l’obscur, cette plongée dans la nuit la plus sombre, caverneuse, spectrale, plongée désespérée, mais aussi triomphe de l’art : «Scandale de la beauté que cette capacité à retourner le drame, à en déplacer le sens, et à le changer en une joie de peindre, indécente, flagrante, portée à son plus haut degré.» C’est cet apparent paradoxe que Marcheschi résout ici de façon magistrale, en montrant combien l’obscurité, la nuit, agit aussi comme un révélateur, qui dévoile et découvre. Il cite la formule de Malraux à propos des Peintures noires (mais on pourrait dire la même chose pour l’œuvre du peintre des Onze Mille Nuits et de La Voie lactée) : «C’est un verre noir à travers quoi se devinent les astres». Le noir permet de voir au-delà, avec la puissance d’une radiographie : «C’est par ce rayon noir dirigé sur le monde que le peintre atteint à des parages qui sans lui seraient restés à jamais invisibles.» La phrase de Malraux réveille aussi chez Marcheschi un souvenir d’enfance qu’il nous livre dans ce beau passage : «J’ai neuf ou dix ans. Mon cartable mal accroché sur le dos, encore ensommeillé, je marche dans Bastia. Soudain, dans la percée ouverte par l’une des venelles du vieux port, c’est l’éclipse de soleil. D’un seul coup, l’ombre arrive : le noir envahit tout. Je tiens dans les mains le petit morceau de verre fumé préparé la veille par mon père. Ce verre assombri par la flamme me permet de regarder le soleil en face, et j’observe l’astre qui s’élève peu à peu au-dessus de la mer.»






À la fin de cette première partie du livre, Marcheschi s’interroge sur le mystère du dernier tableau de Goya, La Laitière de Bordeaux, si apaisé, si lumineux après la grande traversée de la nuit que constituent les Peintures noires : «Effort énorme du peintre, à ce point crucial de sa vie, pour obtenir l’ultime oblation. De ce point de vue, la vision rapprochée du tableau est riche d’enseignements. Tout s’expose crûment, et l’on croit percevoir, en cette touche désormais plus sèche, erratique, divisée, presque "impressionniste", les combats que livre l’esprit. Frottée plutôt que posée, on voit la matière s’extraire lentement du fond sombre et rugueux de la robe pour s’élever enfin vers la douce clarté où le visage paraît. Goya semble ne vouloir confier sa dernière vision qu’au seul travail du geste et de la couleur. En même temps que le poids de la peinture – dans cette extrême proximité avec son modèle –, on croit entendre sa respiration. Qu’elle soit entièrement de sa main ou qu’il ait guidé celle de Rosario, sa fille, comme on l’a insinué, l’œuvre, une fois encore, semble concilier des qualités antinomiques. De loin, c’est une percée claire, légère, dans la lumière. De près, le tableau se renverse en paroi, il n’est plus qu’une "muraille de peinture".» L'auteur livre in fine les titres de quelques fragments au sujet de Goya qu'il n'écrira pas, permettant ainsi au lecteur de continuer cette grande traversée en imaginant ce qui pourrait se dire sous ces titres si étranges et si évocateurs : "Le visage Deneuve ou la ressemblance étalonnée", "Le visage Jackson, le botox, la boursouflure", "Proust, Dante, Goya (le temps, le rien, les étoiles)", "Beckett-Goya : l'ensablement du sens", "La folie Beethoven : les Quatuors noirs", "D'où vient la lumière?"

Pour rendre compte de cette manière unique qu’a Marcheschi de nous faire voir la peinture, avec une grande force évocatoire et une sorte d’énergie sacrée, j’ai envie de parler du duende, que le peintre évoque souvent dans ses textes et ses entretiens. Garcia Lorca a consacré une conférence à «ce pouvoir mystérieux que tout le monde ressent et qu’aucun philosophe n’explique» (Juego y teoria del duende, Jeu et théorie du duende, une très belle édition bilingue est parue en 2010 aux éditions Allia). «Le duende, nous dit Garcia Lorca, n’est pas une question de faculté mais de véritable style vivant ; c'est-à-dire, de sang ; de très vieille culture et, tout à la fois, de création en acte.  (...) Où est le duende ? À travers l’arche vide, passe un vent de l’esprit qui souffle avec insistance sur la tête des morts, à la recherche de nouveaux paysages et d’accents ignorés ; un vent qui sent la salive d’enfants, l’herbe écrasée et le voile de méduse, qui annonce le baptême permanent des choses fraîchement créées.» On ne saurait mieux dire, ni être plus explicite : quand il peint et quand il écrit, Marcheschi a le duende...



Le site des Editions Art 3, où l'on peut aussi commander l'ouvrage.









Images : (1) Goya, Saturne dévorant l'un de ses fils, Musée du Prado, Madrid

(2) Goya, Le Chien, Musée du Prado, Madrid

(3) Goya, La Laitière de Bordeaux, Musée du Prado, Madrid

(4) Jean-Paul Marcheschi, Marsyas, Château de Plieux




vendredi 23 novembre 2012

Éloge de la bicyclette




"Nell'ombra della notte si ritorna soli. È l'ora che preferisco per viaggiare in bicicletta, al raggio delle stelle su la strada vuota, per la bianchezza della quale l'occhio vede da lungi sicuramente. Dove si corre ?"

Alfredo Oriani  La Bicicletta






L’œuvre imposante d'Alfredo Oriani (1852-1909), qui compte de nombreux romans, traités politiques, ouvrages historiques, poèmes, pièces de théâtre, n'est plus beaucoup lue aujourd'hui en Italie. Il faut dire que sa récupération par le fascisme (c'est Mussolini lui-même qui s'occupa de l'édition en trente volumes de ses œuvres complètes (1923-1933)) n'a pas favorisé par la suite la diffusion de ses ouvrages. En 1894, cet homme ombrageux et tourmenté avait découvert le plaisir des randonnées à bicyclette dans la campagne romagnole (il vivait à Casola Valsenio, près de Ravenne). Son biographe le plus enthousiaste, Giuseppe Pentimalli, raconte en 1921 ses pérégrinations cyclistes de Casola à Faenza, puis Imola, Forlì et Bologne : «La bicyclette fut son unique réconfort : dans la fatigue des longues courses, il oubliait un moment le dégoût amer que lui inspirait la vie. La bicyclette était devenue une passion, un baume sur les souffrances de l'âme. Quand il ne travaillait pas, il parcourait toute la Romagne, poussant même parfois jusqu'à la Toscane. Au cours de ces longues pérégrinations, il s'arrêtait dans des troquets ou dans des auberges et chaque halte se transformait en conférence : on l'entourait et il passionnait son auditoire par sa parole rapide, chaleureuse, dense et profonde ; il passait par tous les tons, et son éloquence était flamboyante.» Ces exploits cyclistes avaient valu à Oriani le surnom de "Gamberone" ("Le homard"), sans doute à cause des rougeurs provoquées par l'effort et les coups de soleil. Oriani a raconté ces randonnées dans un petit livre, La Bicyclette (1902), qui est certainement son œuvre la plus légère et la plus enlevée, la plus modeste et la plus libre. J'en cite ici un court extrait : 

«Il piacere della bicicletta è quello stesso della libertà, forse meglio di una liberazione : andarsene ovunque, ad ogni momento, arrestandosi alla prima velleità di un capriccio, senza preoccupazioni come per un cavallo, senza servitù come in treno.

La bicicletta siamo ancora noi, che vinciamo lo spazio e il tempo ; stiamo in bilico e quindi nella indecisione di un giuoco colla tranquilla sicurezza di vincere ; siamo soli senza nemmeno il contatto colla terra, che le nostre ruote sfiorano appena, quasi in balia del vento, contro il quale lottiamo come un uccello.

Non è il viaggio o la sua economia nel compierlo che ci soddisfa, ma la facoltà appunto di interromperlo e di mutarlo, quella poesia istintiva di una improvvisazione spensierata, mentre una forza orgogliosa ci gonfia il cuore di sentirci così liberi.

Domani la carrozzella automobile ci permetterà viaggi più rapidi e più lunghi, ma non saremo più né così liberi né così soli : la carrozzella non potrà identificarsi con noi come la bicicletta, non saranno le nostre gambe che muovono gli stantuffi, non sarà il nostro soffio che la spinge nelle salite.

Seduti come in un treno non ci tornerà più l’illusione di essere giovani, correndo coll’impeto stesso della giovinezza ; non avremo trionfato del vento, non ci saremo ritemprati nella fatica al sol ; ma la nuova macchina c’imporrà le preoccupazioni dei propri guasti non riparabili al momento, c’impedirà di sognare, perché non potremo più guidarla istintivamente, e ci darà il senso doloroso del limite, appunto perché separata da noi, sospinta da una forza che non può fondersi colla nostra...»

Alfredo Oriani   La Bicicletta, 1902  (Reedizione Longo Angelo, 2002)






«Le plaisir de la bicyclette est celui-là même de la liberté, peut-être plus fort encore qu'une libération : aller partout, à n'importe quel moment, en s'arrêtant quand bon nous semble, sans nous préoccuper de notre monture comme quand nous sommes à cheval, sans les contraintes du voyage en train.

À bicyclette, c'est nous qui triomphons de l'espace et du temps ; nous sommes en équilibre instable, et donc à la fois dans les aléas d'un jeu et la tranquille certitude de la victoire ; nous sommes seuls sans aucun contact avec la terre, que nos roues effleurent à peine, à la merci du vent, contre lequel nous luttons comme un oiseau.

Ce n'est pas le voyage, ou la façon dont nous le menons jusqu'à son terme, qui nous procure une satisfaction, mais justement la possibilité de l'interrompre ou de modifier notre itinéraire, cette poésie instinctive qui naît de l'improvisation insouciante, quand une force orgueilleuse s'empare de nous et nous emplit le cœur de l'ivresse de la liberté.

Demain, la voiture automobile nous permettra de voyager plus loin et plus rapidement, mais nous ne serons plus aussi libres ni aussi seuls : nous ne pourrons pas faire corps avec la voiture comme nous le faisons avec la bicyclette, ce ne seront pas nos jambes qui actionneront les pistons, ni notre souffle qui  propulsera le véhicule dans les montées.

Assis comme nous le sommes dans un train, nous perdrons l'illusion d'être encore jeunes, quand nous pédalions avec la fougue de la jeunesse ; nous ne triompherons plus du vent, nous ne reprendrons plus des forces au soleil ; mais l'automobile nous imposera les tracas des pannes impossibles à réparer sur le champ, elle nous empêchera de rêver parce que nous ne pourrons plus la conduire instinctivement, et elle nous donnera le sens douloureux de nos limites, par le fait même qu'elle est séparée de nous, mue par une force qui ne peut pas se confondre avec la nôtre...»

(Traduction personnelle)






Un chapitre du très beau livre de Renaud Camus Demeures de l'esprit Italie du Nord est consacré à Alfredo Oriani. J'en recommande vivement la lecture.



lundi 19 novembre 2012

Maremma




La Maremme toscane, c'est pour Giosuè Carducci le pays de l'enfance. Il y vécut les quinze premières années de sa vie, à Valdicastello (où il est né le 27 juillet 1835), Serravezza, et surtout à Bolgheri, un hameau de la commune de Castagneto (aujourd'hui Castagneto Carducci), où il passa près d'une dizaine d'années. En 1949, il partit pour Florence pour y faire ses études. Trente six ans plus tard, en avril 1885,  à l'occasion d'un voyage en train de Livourne à Rome, il retraverse ces lieux et écrit ce très beau sonnet, nostalgique, amer, mais finalement serein, puisqu'il s'achève sur l'évocation de la douceur paisible des collines toscanes et de la verte plaine riante sous la rosée du matin. 

C'est un poème très célèbre en Italie ; des générations d'écoliers l'ont appris par cœur et l'ont récité dans leurs classes. Il est très difficile à traduire ; je ne pense pas d'ailleurs y être vraiment parvenu... On remarquera au vers 5 la citation quasi littérale d'un vers de Pétrarque (Canzoniere CCCI, 9 : "Ben riconosco in voi le usate forme, / Non, lasso, in me, che da sì lieta vita / Son fatto albergo d'infinita doglia." "Je reconnais bien en vous les formes anciennes / Non pas en moi, hélas, qui après une vie si joyeuse / Suis devenu l'asile d'une douleur sans fin.") Traversando la Maremma toscana se trouve dans le recueil Rime nuove (1887).




 Traversando la Maremma toscana

Dolce paese, onde portai conforme
L’abito fiero e lo sdegnoso canto
E il petto ov’odio e amor mai non s’addorme,
Pur ti riveggo, e il cor mi balza in tanto.

Ben riconosco in te le usate forme
Con gli occhi incerti tra ’l sorriso e il pianto,
E in quelle seguo de’ miei sogni l’orme
Erranti dietro il giovenile incanto.

Oh, quel che amai, quel che sognai, fu in vano ;
E sempre corsi, e mai non giunsi il fine ;
E dimani cadrò. Ma di lontano

Pace dicono al cuor le tue colline
Con le nebbie sfumanti e il verde piano
Ridente ne le pioggie mattutine.

21 aprile 1885






En traversant la Maremme toscane

 Doux pays, dont j'emportai en moi
Le fier caractère et le chant hautain
Et l'âme où ne s'apaisent jamais la haine ni l'amour,
Enfin je te revois, et mon cœur bat plus fort.

Mes yeux hésitant entre sourire et larmes
Retrouvent bien en toi les formes anciennes,
Et en elles, de mes rêves je suis les traces
Errantes derrière l'enchantement de la jeunesse.

Oh ! j'ai aimé et rêvé, mais en vain ;
Et j'ai couru toujours sans atteindre aucun but ;
Et demain je tomberai. Mais, de loin :

«Paix !» disent au cœur tes collines
Enveloppées de brumes, et la verte plaine
Riante dans la rosée du matin.

21 avril 1885








Toutes les photographies sont d'Aurelio Candido  (Site Flickr)




vendredi 16 novembre 2012

Santa Maria degli Angeli




Ce poème dédié à François d'Assise a été écrit par Giosuè Carducci en souvenir d'un séjour en Ombrie, sur les lieux franciscains (ici la basilique de Sainte-Marie-des-Anges, construite à l'endroit où mourut saint François), en juillet 1877. Les deux derniers vers sont évidemment une citation littérale du Cantique des créatures (connu aussi en italien sous le titre Cantico di Frate Sole). Le poème est extrait du recueil Rime nuove :




Santa Maria degli Angeli

Frate Francesco, quanto d’aere abbraccia
Questa cupola bella del Vignola
Dove incrociando a l’agonia le braccia
Nudo giacesti su la terra sola !

E luglio ferve e il canto d’amor vola
Nel pian laborïoso. Oh che una traccia
Diami il canto umbro de la tua parola,
L’umbro cielo mi dia de la tua faccia !

Su l’orizzonte del montan paese,
Nel mite solitario alto splendore,
Qual del tuo paradiso in su le porte,

Ti vegga io dritto con le braccia tese
Cantando a Dio — Laudato sia, signore,
Per nostra corporal sorella morte !

27-29 maggio 1886 








Frère François, que d'espace elle embrasse
Cette belle coupole de Vignola
où, en agonie, les bras en croix
Tu gisais nu à même la terre !

Et juillet brûle, et le chant d'amour vole
Dans la plaine laborieuse. Oh que le chant de l'Ombrie 
Me donne un écho de ta parole,
Et le ciel de l'Ombrie une esquisse de ton visage !

Sur l'horizon du pays montagneux,
Dans la douce splendeur haute et solitaire,
Comme sur les portes de ton paradis,

Que je te voie debout, les bras tendus,
Chantant à Dieu – Loué sois-tu, Seigneur,
Pour notre sœur la mort corporelle !

27-29 mai 1886

(Traduction personnelle)








Images : en haut, Mark Stephenson  (Site Flickr)

au centre, Jim Flewker  (Site Flickr)

en bas, Paolo C.  (Site Flickr)




lundi 12 novembre 2012

L' Île et l'idylle




Dicono che qui, fra splendore e squallore, non rimanga spazio per il soave ; che la nostra non è terra d'idillio.

Dicono, ma è vero a metà. Conosco solitudini d'isola d'una tenerezza infinita, intime come pieghe di carne : alla foce del Platani, nella valle di Cimia, sul pianoro dell'Arcibessi... Persino le coste, per quanto manomesse e corrotte dall'infezione balneare, serbano ancora intatto qualche lembo d'incantesimo e di pace, in posti che mi guardo bene dal rivelarvi. Senza dire che anche ai siti più pubblicati è talvolta possibile estorcere il miracolo d'una sorpresa. Ricordo, dopo la fine d'uno spettacolo estivo, quando l'ultimo turista se ne fu andato in albergo, scioglersi da un cielo di nuvole e scendere di scheggia in scheggia un timido plenilunio sulla cavea di Segesta... e dalle parti di Pozzallo una torre di guardia, di quelle che si erigevano per allarme dei Corsali barbareschi, assumere ai primi barlumi del giorno figura di misterioso cimiero... e ad Agrigento, un mezzodì, una lucertola verdissima imbambolarsi di sole lungo la guancia d'un Telamone caduto...

Bellezza e silenzio esistono dunque ancora nell'isola : nei tavolati, nei bivieri, sulle sponde delle fiumare ; nei borghi di cui s'incappellano i cocuzzoli montani e i cui mucchi di dammusi si osservano all'orizzonte o s'indovinano dai lumi, attraversando l'isola da Catania a Palermo, chi levi il capo un momento dal monotono nastro d'asfalto per interrogare il mistero d'una Sicilia che gli s'invola. Sì, perché a questo punto è lecito chiedersi se i rettilinei delle autostrade non siano in qualche modo provvidenziali, quando spingono avanti alla cieca il viaggiatore indiscreto, distraendolo dai santuari più intimi (valli, baie, contrafforti boschivi...), ch'egli spargerebbe altrimenti di carta straccia e barattoli vuoti...

Odiosamata Sicilia ! Di cui non saprebbe trovarsi terra più ricca di magnificenze e d'orrori. Vociferati, questi, ogni mattina dagli strilloni sotto il balcone ; scritte, le altre – terragne, marine, celesti – tacitamente negli occhi di chi la elesse, anche al di là del diritto d'anagrafe, per madre e patria dell'anima.

Gesualdo Bufalino  Saldi d'autunno, Ed. Bompiani, 1990  






On dit qu'ici, entre splendeur et misère, il n'y a plus de place pour la douceur ; que la Sicile n'est pas une terre d'idylle.

On le dit, mais ça n'est qu'à moitié vrai. Je connais des solitudes insulaires d'une tendresse infinie, intimes comme des plis de chair : à l'embouchure du Platani, dans la vallée de Cimia, sur le plateau de l'Arcibessi... Même les côtes, pourtant suppliciées et corrompues par l'infection balnéaire, gardent encore intacts quelques coins enchanteurs et paisibles, dans des endroits que je me garde bien de vous révéler. Et même dans les sites les plus fréquentés, il est parfois possible d'extorquer le miracle d'une surprise. Je me souviens, à la fin d'un spectacle estival, quand le dernier touriste eut rejoint son hôtel, d'une pleine lune timide sur la cavea de Ségeste, s'extrayant d'un ciel nuageux en une lente descente progressive... Ou encore, dans les environs de Pozzallo, une tour de guet, du genre de celles que l'on érigeait pour prévenir de l'arrivée des Corsaires barbaresques, qui se changeait dans les premières lueurs de l'aube en un mystérieux cimier... Et à Agrigente, à midi, un lézard très vert qui se grisait de soleil contre la joue d'un Télamon couché...

La beauté et le silence existent donc encore sur l'île : sur les plateaux, près des marais, au bord des torrents ; dans les villages qui parsèment les sommets montagneux et dont les anciennes constructions se découpent à l'horizon ou se devinent par leurs lumières. Mais cette beauté ne s'offre qu'à ceux qui, traversant l'île de Catane à Palerme, veulent bien détourner leur regard du monotone ruban d'asphalte, pour interroger le mystère d'une Sicile qui se dérobe à eux. Et finalement, il n'est pas exagéré de se demander si les longues lignes droites des autoroutes ne sont pas providentielles, dans la mesure où elles poussent en avant, à l'aveugle, le voyageur indiscret, en l'écartant des sanctuaires les plus intimes (les vallées, les baies, les contreforts boisés...) qu'autrement il souillerait de ses papiers gras et de ses canettes vides...

Sicile odieuse et aimée ! Pourrait-il exister une île plus riche de merveilles et d'horreurs? Celles-ci vociférées tous les matins sous les balcons par les crieurs de journaux ; celles-là – merveilles terrestres, marines, célestes – gravées secrètement dans les yeux de ceux qui en firent leur terre d'élection et, même s'ils n'y sont pas nés, la mère et la patrie de leur âme.

(Traduction personnelle)








Images : en haut, René Seindal  (Site Flickr)

au centre, Site Flickr

en bas, Site Flickr



mardi 6 novembre 2012

Cesenatico




 Cesenatico vecchio

In paese di mare
il mare è da per tutto.

Ovunque s’ode il flutto
che ci fa camminare.

In cimitero s’ode
così come alla riva.

E’ una voce furtiva,
una specie di lode.

Ai vivi non dispiace
il camposanto a mare.

Lì ci verranno a stare
godendo il lido in pace.

Ai vivi piace il vino,
piacciono grida ed ire.

Ma poi, sotterra, udire
il mare più vicino.

I morti son contenti
se il mare li protegge.

Qualche lumino regge,
due o tre sono già spenti.

Marino Moretti  Diario senza le date Mondadori, 1974






 Cesenatico vecchio

la mer est partout.

Partout on entend le flot
qui nous fait avancer.

On l'entend au cimetière
comme sur la rive.

C'est une voix furtive,
une sorte de louange.

Aux vivants ne déplaît pas
le cimetière marin.

Ils viendront y reposer
jouissant de la paix du rivage.

Les vivants aiment le vin,
ils aiment les cris et les fureurs.

Mais, sous terre, il leur plaît 
d'entendre la mer tout près d'eux.

Les morts sont contents
si la mer les protège.

Quelques lumignons brillent encore,
deux ou trois sont déjà éteints. 

(Traduction personnelle)






Images : grazie a Massimiliano Calamelli  (Site Flickr)



vendredi 2 novembre 2012

Un poeta della sventura (Un poète du malheur)





"È bellissimo tornare a Milano, di notte. Si potrebbe lasciarla per sempre solo per andare in Paradiso."

"C'est si beau de revenir à Milan, la nuit. On ne pourrait pas la quitter pour toujours, sauf pour aller au Paradis." 



"Ma un giorno da dentro l'avello                          "Mais un jour moi aussi
anch'io mi sono ridestata                                          je suis sortie du tombeau
e anch'io come Gesù                                                    et moi aussi comme Jésus
ho avuto la mia resurrezione,                                  je suis ressuscitée,
ma non sono salita ai cieli                                        mais je ne suis pas montée au Ciel
sono discesa all'inferno                                             je suis descendue en enfer
da dove guardo stupita                                             d'où je contemple stupéfaite                
le mura di Gerico antica."                                        les murs de l'ancienne Jéricho"

Alda Merini  La Terra santa                                     Alda Merini  La Terre sainte





 

Alda Merini (21 marzo 1931 - primo novembre 2009)


La mia poesia è alacre come il fuoco,
trascorre tra le mie dita come un rosario.
Non prego perché sono un poeta della sventura
che tace, a volte, le doglie di un parto dentro le ore,
sono il poeta che grida e che gioca con le sue grida,
sono il poeta che canta e che non trova parole,
sono la paglia arida sopra cui batte il suono,
sono la ninnanànna che fa piangere i figli,
sono la vanagloria che si lascia cadere,
il manto di metallo di una lunga preghiera
del passato cordoglio che non vede la luce.

Alda Merini La volpe e il sipario (1997)

Ma poésie est ardente comme le feu,
elle glisse entre mes doigts comme un rosaire.
Je ne prie pas parce que je suis un poète du malheur
qui tait, parfois, les douleurs d'une naissance d'entre les heures,
je suis le poète qui crie et qui joue avec ses cris,
je suis le poète qui chante sans trouver les paroles,
je suis la paille aride sur laquelle vient battre le son,
je suis la berceuse qui fait pleurer les enfants,
je suis la gloriole qui se laisse choir,
le manteau de métal d'une longue prière
du deuil passé à jamais sans lumière.

(Traduction personnelle)


Non ho bisogno di denaro.
Ho bisogno di sentimenti,
di parole, di parole scelte sapientemente,
di fiori detti pensieri,
di rose dette presenze,
di sogni che abitino gli alberi,
di canzoni che facciano danzare le statue,
di stelle che mormorino all’orecchio degli amanti.
Ho bisogno di poesia,
questa magia che brucia la pesantezza delle parole,
che risveglia le emozioni e dà colori nuovi.

Alda Merini

Je n'ai pas besoin d'argent.
J'ai besoin de sentiments,
de mots, de mots choisis avec soin,
de fleurs comme des pensées,
de roses comme des présences,
de rêves perchés dans les arbres,
de chansons qui fassent danser les statues,
d'étoiles qui murmurent à l'oreille des amants.
J'ai besoin de poésie,
cette magie qui allège le poids des mots,
qui réveille les émotions et donne des couleurs nouvelles.

(Traduction personnelle)


Veleggio come un'ombra
nel sonno del giorno
e senza sapere
mi riconosco come tanti
schierata su un altare
per essere mangiata da chissà chi.
Io penso che l'inferno
sia illuminato di queste stesse
strane lampadine.
Vogliono cibarsi della mia pena
perché la loro forse
non s'addormenta mai.

Alda Merini

Je plane comme une ombre
dans le sommeil du jour
et sans le savoir
je me vois comme tant d'autres
alignée sur un autel
prête à être dévorée par qui sait qui.
Je pense que l'enfer est éclairé par ces mêmes
étranges lumières.
Ils veulent se repaître de ma peine
parce que la leur peut-être
ne s'apaise jamais.

(Traduction personnelle)






Sono nata il ventuno a primavera
ma non sapevo che nascere folle,
aprire le zolle
potesse scatenar tempesta.
Cosi Proserpina lieve
vede piovere sulle erbe,
sui grossi frumenti gentili
e piange sempre la sera.
Forse è la sua preghiera.

Alda Merini Vuoto d'amore

Je suis née le vingt-et-un au printemps
mais j'ignorais que naître folle
et retourner la terre,
cela pouvait déchaîner la tempête.
Ainsi la légère Proserpine
voit la pluie tomber sur les herbes,
sur les grands blés tendres
et pleure tous les soirs.
Peut-être est-ce sa prière.

(Traduction personnelle)


Gli occhi di Milva

Non occorre
che io mi sieda sul letto
a rivedere i sogni perduti.
Basta guardare gli occhi di Milva
e vedo la mia felicità.
Coloro che pensano
che la poesia sia disperazione
non sanno che la poesia
è una donna superba,
e ha la chioma rossa.
Io ho ammazzato tutti i miei amanti,
perché volevano vedermi piangere
e io ero soltanto felice.

Alda Merini

Les yeux de Milva

Il n'est pas nécessaire
que je m'assoie sur le lit
pour revoir les songes perdus.
Il me suffit de regarder les yeux de Milva
pour voir mon bonheur.
Ceux qui pensent
que la poésie est le désespoir
ignorent que la poésie
est une femme superbe
à la chevelure rousse.
Moi, j'ai tué tous mes amants,
parce qu'ils voulaient me voir pleurer
alors que j'étais simplement heureuse.

(Traduction personnelle)


I poeti lavorono di notte

I poeti lavorono di notte
quando il tempo non urge su di loro,
quando tace il rumore della folla
e termina il linciaggio delle ore.

I poeti lavorono nel buio
come falchi notturni od usignoli
dal dolcissimo canto
e temono di offendere Iddio.

Ma i poeti, nel loro silenzio
fanno ben più rumore
di una dorata cupola di stelle.

Alda Merini  Destinati a morire


Les poètes travaillent la nuit

Les poètes travaillent la nuit
quand le temps ne les presse plus,
quand se tait la rumeur de la foule
et que cesse le lynchage des heures.

Les poètes travaillent dans le noir
comme des rapaces nocturnes ou des rossignols
au chant si doux,
et ils craignent d'offenser Dieu.

Mais les poètes, dans leur silence,
font bien plus de bruit
qu'une coupole dorée d'étoiles.

(Traduction personnelle) 





Il Naviglio mi vuole anche di notte
come lucciola appesa sui piloni,
vuole che canti le latrine e i bar fumosi
dei miei ponti e io, malgrado tutto,
canto un poeta che è risorto
dalle ceneri inermi di un peccato :
non dimentico mai questo dolore
di essere sgradita alla mia gente.

Alda Merini La Vita Felice (Ipotenusa d'amore)

Le Naviglio me veut aussi la nuit
comme une luciole posée sur les pylônes,
il veut que je chante les latrines et les bars enfumés
de mes ponts et moi, malgré tout,
je chante un poète qui renait
des cendres inermes d'un péché :
je n'oublie jamais ce chagrin
d'être rejetée par les miens.

(Traduction personnelle)



Milva e Alda Merini cantano Johnny Guitar :




Suona per me,
solo per me,
my Johnny.

So che il tuo cuor
non vuol parlar
d'amor.

Sono folle
di te
oh my Johnny.

Sol per te
vivrò,
Johnny Guitar.

Suona per me
Johnny Guitar.

Ovunque andrai
io ti dirò
che t'amo.

E già lo so,
non ti potrò
scordar.