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jeudi 16 mai 2013

Une caresse inconnue




 "Ora dorme la bianca fiordaligi
chiusa ne' panni, stesa in sul coperchio
del bel sepolcro ; et tu l'avesti a specchio
forse, ebbe la tua riva i suoi vestigi.

Ma oggi non Ilaria del Carretto
signoreggia la terra che tu bagni,
o Serchio..."

Gabriele d'Annunzio  Le Città del silenzio, Lucca


Sotto tenera luna già i tuoi colli,
lungo il Serchio fanciulle in vesti rosse
e turchine si muovono leggere. 
Così al tuo dolce tempo, cara ; e Sirio 
perde colore, e ogni ora s'allontana,
e il gabbiano s'infuria sulle spiagge
derelitte. Gli amanti vanno lieti
nell'aria di settembre, i loro gesti
accompagnano ombre di parole
che conosci. Non hanno pietà ; e tu
tenuta dalla terra, che lamenti ?
Sei qui rimasta sola. Il mio sussulto
forse è il tuo, uguale d'ira e di spavento.
Remoti i morti e più ancora i vivi,
i miei compagni vili e taciturni.

Salvatore Quasimodo  Davanti al simulacro d'Ilaria del Carretto 







La toute jeune femme de Paolo Guinigi, tyran de Lucques, vient de mourir. On ne sait pas de quoi. Si le marbre n’était pas toujours exsangue, je dirais qu’elle a perdu tout son sang. Charmante créature, elle est longue, longue comme une aiguille, mince, fine et svelte. Couchée bien sagement et toute droite, sa robe et son manteau sont d’une étoffe trop lourde pour elle ; ce poids la retient ; sans quoi, cette jeune femme se relevant reprendrait sa démarche longue et légère. Mais elle dort bien profondément et ne se réveillera pas. La joue lisse et droite, le nez bref et droit, son long visage maigre ne sourit guère ; ou plutôt il laisse transparaître le sourire intérieur, las d’être si loin peut-être, la lumière sous la porcelaine de la veilleuse. Ilaria del Carretto sourit en dedans à une douceur inconnue. L’arête de son beau petit menton souffrant et volontaire est bien posée sur le haut col, en forme de calice, du manteau fermé. Elle avait froid. Les plis se confondent avec ceux de la robe ; et les pieds cachés, appuyés sur un fidèle petit chien couché contre la plante, relèvent la courbe de la vague à jamais fixée. Robe de la jeune femme, crête d’écume au flot de la vie, glycine palpitante de la chair heureuse, de la forme chaude et parfumée : l’onde ici est arrêtée pour jamais de la chair, de la forme et de la robe noblement ornée.




Iacopo della Quercia, siennois, a taillé cette image, comme la jeune femme était à peine morte. Il avait alors vingt-sept ou vingt-huit ans. La grâce siennoise vivait encore en lui. Plus tard, il l’a perdue dans l’imitation de la fausse grandeur, à l’antique. Car l’âme du moyen âge, le plus souvent, n’abdique pas en faveur de la beauté grecque : la Renaissance n’a pas connu la véritable antiquité. Le tombeau, où Ilaria del Carretto repose, quoique de belles proportions, est romain dans toutes ses parties. Cinq petits anges, plutôt pareils à de gras amours mous et dodus, se touchent par le bout des ailes et font ainsi une quintuple accolade. Ils tiennent d’énormes guirlandes, dans le goût des couronnes qui pèsent sur les arcs de triomphe : elles sont déjà faites de la même immortelle et des mêmes lauriers mortuaires. On s’extasie là devant. Dans cette œuvre, toute la beauté est de ce qui va disparaître : la noblesse et la pureté de la figure. L’esprit est inclus à la pierre et ne l’a pas désertée encore. Le reste annonce la pompe de la Renaissance et sa virtuosité. Plus ils seront habiles, et plus les artistes seront virtuoses. Moins ils auront à dire, et plus ils le diront avec éloquence : l’abondance et le faste leur seront une autre nature. L’ornement tue la simplicité ; il en est le bourreau, dès l’origine. Les passants admirent dans ce tombeau le premier des mille et mille monuments semés dans toute l’Europe, depuis cinq cent ans, et qu’on refait encore dans le même goût et le même esprit. Cependant, Ilaria del Carretto donne en silence son sourire intérieur et la fleur coupée de sa vie à une caresse inconnue.

André Suarès  Voyage du condottiere, Fiorenza 






Images : en haut, Daniela Verzaro  (Site Flickr)

au centre, Site Flickr

en bas, Terry Clinton  (Site Flickr)



4 commentaires:

  1. Nous avons vu cette merveille la semaine dernière; cela me ravie de la retrouver chez vous avec ces textes.
    M de Sclos

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    1. Merci de votre visite, et bravo pour votre très beau blog sur Venise, sur lequel je me rends toujours avec plaisir !

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  2. Vous lisez comme on goûte un mets exquis, lentement, suavement, puis, vous cherchez patiemment vos images, vos musiques et vous vous effacez, heureux. A nous d'entrer par la lecture, l'écoute et le regard ce bonheur. Merci.

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    1. Merci à vous, chère Christiane ! J'aime beaucoup en effet le jeu de correspondances que permettent les hyperliens, et la prière qui clôt le "Didon et Enée" de Purcell semble écrite aussi pour Ilaria : "Venez, anges aux ailes pendantes / Répandez des roses sur sa tombe / Roses tendres et belles comme son cœur / Veillez ici, et ne partez jamais..."

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