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mercredi 10 décembre 2014

Elegia a um tucano morto (Élégie pour un toucan mort)




L'Élégie à un toucan mort est le dernier poème écrit par Carlos Drummond de Andrade, le 31 janvier 1987 :


 Ao Pedro



O sacrifício da asa corta o voo
no verdor da floresta. Citadino
serás e mutilado,
caricatura de tucano
para a curiosidade de crianças
e a indiferença de adultos.
Sofrerás a agressão de aves vulgares
e morto quedarás
no chão de formigas e de trapos.

Eu te celebro em vão
como à festa colorida mas truncada
projeto da natureza interrompido
ao azar de peripécias e viagens
do Amazonas ao asfalto
da feira de animais.
Eu te registro, simplesmente,
no caderno de frustrações deste mundo
pois para isto vieste :
para a inutilidade de nascer.

Carlos Drummond de Andrade   Farewell, 1996






À Pedro


Le sacrifice de l'aile coupe le vol
dans la verdeur de la forêt. Citadin
tu seras et mutilé,
caricature de toucan
pour la curiosité des enfants
et l'indifférence des adultes.
Tu subiras l'agression d'oiseaux communs
et mort tu tomberas
sur un sol de loques et de fourmis.

Je te célèbre en vain
comme une fête colorée mais tronquée,
projet de la nature interrompu
subissant péripéties et voyages
de l'Amazone à l'asphalte
du marché aux animaux.
Je te consigne, simplement,
dans le cahier de frustrations de ce monde,
car c'est pour cela que tu es venu :
pour l'inutilité de naître.

Traduction : Ariane Witkowski








Images : en haut, Site Flickr

au centre, Site Flickr


en bas, Szymon Kochanski   (Site Flickr)




Pedro Drummond, le petit-fils de Carlos Drummond de Andrade récite l'Elegia a um tucano morto, le dernier poème écrit par son grand-père, qui le lui a dédié.

9 commentaires:

  1. "Une fête colorée". Quel bel oiseau sur ces photos le montrant dans son habitat naturel, la grande forêt tropicale.
    Le retrouver dans une cage d'animalerie vendant des animaux exotiques, c'est bien triste. Cadeau ultime à son petit-fils.
    La ville ?
    "Regarde, regarde les nuages : ils détachent
    des drapeaux de pourpre et de violet
    au-dessus des montagnes et de la mer.
    La nuit tombe sur Rio. La nuit est lumière qui rêve."
    Rio, bien sûr, qu'il aimait tant.
    Le ciel est ivre de nuages au-dessus des villes de la mer et des forêts.
    Je connais un toucan qui a fait son refuge dans le verger du jardin du Luxembourg. Il observe parfois les enfants jouer avec leur voilier, les promeneurs assis autour du grand bassin bassin, perché sur une nymphe ou un faune dansant. Parfois il se pose sur la fontaine Médicis, effrayé par Polyphème qui s'apprête à écraser sous un rocher Acis et Galatée. Les abeilles du rucher, messagères, lui bourdonnent l'aile des mots.
    Oui, je connais un Toucan heureux... en ville.

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  2. Le poème est extrait de "Portrait d'une ville III". Je n'ai pas la version originale ni le nom du traducteur. Je l'ai trouvé sur internet en y volant à tire d'aile. Quel grand poète, Carlos Drummond de Andrade...

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  3. Le livre d'où est extrait ce poème "Portrait d'une ville III" (p.350) est traduit du portugais (Brésil) par Didier Lamaison. Édité par Gallimard - collection "Du monde entier".

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    1. Cette édition a été récemment reprise dans la collection de poche Poésie / Gallimard, sous le titre "La machine du monde" avec une traduction revue.

      Pedro, le petit fils du poète, raconte à la fin de la vidéo qui se trouve en bas du message l'histoire vraie de ce toucan domestique qui vivait dans sa maison et qui, à la suite d'une querelle avec une poule, s'est fracturé une patte que l'on a dû par la suite amputer. Le toucan est mort peu de temps après et Carlos Drummond a voulu consoler son petit-fils de cette perte en lui offrant cette élégie, qui fut également l'ultime poème écrit par le grand auteur brésilien...

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  4. Merci beaucoup, je ne comprenais pas ce que disait Pedro dans la vidéo que vous avez mise en ligne. C'est un beau lien entre l'histoire du toucan, le poème et le passage d'un grand-père à son petit-fils. Mais ce poème est-il "consolant" ?
    Merci aussi pour la référence du livre "La machine du monde".
    Quelle précieuse "stagione" que la vôtre...

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    1. Vous avez raison, le terme "consoler" ne convient pas ; il s'agit de tout autre chose dans cette élégie...

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    2. Oui, comme une invitation à l'utilité d'être né et pour cela habiter dans son lieu, qu'il soit écriture, art, paysage, silence ou parole, clan ou solitude. Ce toucan, arraché à sa verte forêt, s'il a donné du bonheur à cette famille, n'a-t-il pas été utile ? Et puis la mort est toujours laide et révoltante mais sans elle la vie humaine serait inachevable et suffocante en sa durée.
      Comme si Drummond projetait sur la mort de cet oiseau une nostalgie qui lui est personnelle, d'un lieu secret... au-delà du miroir... Peut-être ses mots ont-ils été le chemin qui y menait...

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  5. Regarder le Brésil avec les yeux de Fine Stagione ... je vous le conseille vivement.
    Emmanuel, votre blog - et les commentaires de Christiane - sont une compagnie bien agréable.
    Lilia da Frusseda

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    1. Merci de votre passage, Lilia, et de cet aimable commentaire !

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