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jeudi 31 décembre 2015

Luna di dicembre





Come è bella la luna di dicembre
che guarda calma tramontare l'anno.
Mentre i treni si affannano si affannano
a quei fuochi stranissimi ella sorride.

Sandro Penna Una strana gioia di vivere


Comme elle est belle, la lune de décembre,
qui calme regarde finir l'année.
Tandis que les trains s'essoufflent, s'essoufflent,
elle sourit à ces feux si étranges.






Images : en haut, Site Flickr

en bas, Paolo Campioni (Site Flickr)




jeudi 24 décembre 2015

Morfologia del bianco (Morphologie du blanc)




Reverrons-nous un jour la neige à Noël ? 




C'erano nel bianco riverberi di bianco, che spumeggiando rotolavano su una distesa bianca, il cielo, sopra, era bianco, un cielo perso nella luce che lo abbagliava di bianco, è assenza, mi dicevo, è vuoto d'assenza, ma era un bianco che innevava i pensieri, un abisso di bianco che cancellava ogni cosa, a guardare bene anche il fondo del bianco, il suo incavo, il suo riflesso erano bianchi, è il silenzio, mi dicevo, il silenzio dell'origine, o della fine, ma era solo un immenso lenzuolo bianco sotto cui dormivano bianche moltitudini, qua e là s'affaciavano parvenze vestite di bianco, disfatte subito nel bianco, s'affaciavano simulacri imbiancati, smarriti nei loro bianchi pensieri, è il nulla, mi dicevo, il bianco del nulla, ma era soltanto un sogno di bianco che generava bianco, così quando fui sveglio guardai a lungo, di là dalla finestra, la luna, che quella notte era bellissima e bianca.

Antonio Prete   Menhir ed. Donzelli, 2007



Il y avait dans le blanc des miroitements de blanc, qui en moussant roulaient sur une étendue blanche, le ciel, au-dessus, était blanc, un ciel perdu dans la lumière qui l'éblouissait de blanc, c'est l'absence, me disais-je, c'est le vide de l'absence, mais c'était un blanc qui recouvrait de neige les pensées, un abîme de blanc qui effaçait toute chose, à bien y regarder même le fond du blanc, sa cavité, son reflet étaient blancs, c'est le silence, me disais-je, le silence de l'origine, ou de la fin, mais ce n'était qu'un immense drap blanc sous lequel dormaient de blanches multitudes, ça et là apparaissaient des ombres vêtues de blanc, qui se fondaient aussitôt dans le blanc, des simulacres blanchis apparaissaient, égarés dans leurs blanches pensées, c'est le néant, me disais-je, le blanc du néant, mais ce n'était qu'un rêve de blanc qui engendrait du blanc, ainsi à mon réveil je regardai longtemps par la fenêtre, la lune, qui cette nuit-là était très belle et blanche.

(Traduction personnelle)





Images, au centre et en bas : Carlo Ilmari Cremonesi (Site Flickr)

en haut : Site Flickr



samedi 12 décembre 2015

L'Odeur de Trévise




La Piste Pasolini est le titre du premier livre d'un jeune écrivain de vingt-trois ans, Pierre Adrian. Je crois bien que c’est l’un des meilleurs ouvrages que l’on ait écrits sur Pasolini en français, parce qu’il n’est pas simplement un essai sur l’œuvre, mais également un passionnant voyage dans l’Italie d’aujourd’hui sur les traces d’un poète profondément aimé. Le prologue nous ramène sur la plage d’Ostie où tout s’est achevé il y a (déjà) quarante ans puis l’on va revenir au point de départ (Casarsa et le Frioul) avant de suivre les autres étapes de la vie de Pasolini : Rome (la stazione Termini, la Piazza Costaguti, le marché du campo de’ Fiori, les bords du Tibre, la via Salaria et le quartier de l’EUR, où Pasolini a habité jusqu'à la fin de sa vie), et enfin la tour de Chia, le dernier refuge, auquel sont consacrées les très belles dernières pages du livre. À Casarsa, l’auteur rencontre les derniers témoins de la jeunesse de Pasolini ; il se rend ensuite à Trévise, où réside Nico Naldini, cousin et biographe du poète, ce qui nous vaut des pages mélancoliques et désenchantées sur l’Italie d’aujourd’hui, dans laquelle Naldini se sent terriblement étranger ; il rencontre également à Rome, dans son appartement de la via Alessandria, le critique et cinéaste Carlo di Carlo, qui fut l’assistant de Pasolini pour Mamma Roma et le documentaire La Rabbia ; toujours à Rome, l’auteur se rend au cimetière acattolico, sur la tombe de Gramsci (là où Pasolini alla lui-même, comme en témoigne une célèbre photographie), ce qui lui permet de se livrer à plusieurs considérations passionnantes sur les nombreux thèmes qui unissent les œuvres de ces deux grands auteurs (on se souvient bien sûr des vers des Cendres de Gramsci, parmi les plus beaux qu’a écrits Pasolini). Pour donner une idée du ton très personnel de cet ouvrage et de la familiarité de ce jeune auteur avec la pensée de Pasolini, je cite ici un passage où il évoque le scénario sur saint Paul que le cinéaste ne parvint pas à réaliser, et le désert moderne que constitue pour lui la ville de Trévise qu’il visite un soir d’hiver : 

Pasolini a voulu tourner un film sur saint Paul. Je n’ai pas été étonné de l’apprendre. Il y a dans les écrits de Pasolini une similitude avec le converti de Damas. « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » demande Dieu. Pasolini demande à Dieu : « Seigneur, pourquoi suis-je persécuté ? » Saint Paul, Pasolini... Deux figures molestées, tuées aux portes de Rome. 

[...] 

Pasolini transpose saint Paul au cœur du monde moderne. New York, épicentre du monde de l’après-guerre, remplace Rome. Comme si Pasolini s’accordait avec Chesterton, lequel écrit déjà en 1926 que « la folie de demain n’est pas à Moscou, mais plutôt à Manhattan ». Les Pharisiens sont les intellectuels et les journalistes de notre époque, et Paul intervient dans les conférences et les tables rondes au milieu de nos grandes métropoles. C’est au pied des buildings new-yorkais que Pasolini imagine son assassinat, dans le même hôtel que Martin Luther King. Le film n’a pas trouvé de financement. Il ne s’est jamais fait. Publié, le scénario se lit facilement. Plus de quarante ans après cet avortement, qui devait être la suite de L’Évangile selon Saint Matthieu, les mots de Pasolini sont encore actuels. J’ai aussi retenu ceux-ci : 

« Aucun désert ne sera jamais plus désert qu’une maison, une place, une rue où vivent les hommes mille neuf cent soixante dix ans après Jésus-Christ. Ici, c’est la solitude. Coude à coude avec ton voisin qui s’habille dans les mêmes grands magasins que toi, fréquente les mêmes boutiques que toi, lit les mêmes journaux que toi, regarde la même télévision que toi, c’est le silence. » (extrait de Saint Paul, de PPP)




La ville moderne a son désert. Et au moment d’entrer à Trévise à une grosse heure de Casarsa, je découvre un désert plus aride encore que celui des années 70. Entourée de remparts, Trévise est un rectangle qui renferme quelques canaux ; presque chaque rue débouche sur une place, un campo. Elle a tous les attributs d’une charmante ville de province, charme balayé par le fric. Ce dimanche après-midi, Trévise dégoûte en ses ruelles, et la métaphore du désert est là, plus vraie qu’ailleurs. Les boutiques sont toutes ouvertes, dégueulant sur la rue la même musique sans émotion, les chariots de cintres qui trimbalent les dernières frusques à la mode. « Saldi, saldi, saldi. » Temps béni des soldes, où les magasins ne connaissent plus d’horaires. La foule court parmi les boutiques, entre et sort, elle se bouscule comme des têtards dans un bocal. Je suis surpris. Je m’attendais à l’ambiance d’un village, et je découvre un ghetto de nouveaux riches, avec leurs doudounes luisantes, leurs jeans délavés, toute cette gomme dans leurs cheveux et cette crème sur leur peau. L’odeur de Trévise est celle qu’on respire à l’approche des parfumeries. Un mélange salace et nauséeux de climatisation moite et d’arômes de grandes marques. Le contraste à Trévise est plus fort encore car la ville, qui repose sur ses vestiges, paraît fatiguée par la fierté petite-bourgeoise de ses habitants. Fierté de porter la dernière doudoune Moncler, fierté de serrer contre soi cette femme gavée de fond de teint. Elle joue l’équilibriste sur les pavés avec ses talons hauts.




Dimanche après-midi, moment sacré de la consommation, du lèche-vitrines. Moment sacré de l’absence de sacré. Retrouver cette sensation, là, dans une petite ville délicieuse de la plaine du Pô, montre encore plus l’absurdité de ce système de consommation. Réservé aux grandes villes ? Non. Des métropoles aux villes, il dégouline jusqu’aux villages, où la municipalité s’offre parfois le luxe de disséminer des enceintes dans ses rues pour que la musique soit là, partout et tout le temps. « Il n’y a pas d’autre métaphore du désert que la vie quotidienne. » écrit toujours Pasolini dans Saint Paul.

Pierre Adrian  La Piste Pasolini  Éditions des Équateurs, 2015






Images : en haut, Marina  (Site Flickr)