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vendredi 19 avril 2019

Mes seules larmes (D'un pianto solo mio)



Sept villes se vantaient d'avoir cerné la Ville :
Auteuil voulait en faire un jardin potager ;
Grenelle en voulait faire un énorme verger ;
Bercy, des entrepôts ; Montmartre, un vaudeville.

Passy faillit en faire un immeuble servile,
Un caravansérail pour le noble étranger ;
Vaugirard, la Villette à ce peuple léger
Faisaient des abattoirs pour sa guerre civile.

Mais la dame a mangé les sept petites sœurs,
Elle a mis pour toujours la liberté de l'âme,
Et tous ces fourniments et tous ces fournisseurs,

Le négoce, l'amour, et la cendre, et la flamme,
Et tous ces boniments et tous ces bonisseurs,
Et les gouvernements gendres et successeurs

Sous le commandement des tours de Notre-Dame

Charles Péguy  Les Sept contre Paris






1

Mio fiume anche tu, Tevere fatale,
Ora che notte già turbata scorre ;
Ora che persistente
E come a stento erotto dalla pietra
Un gemito d'agnelli si propaga
Smarrito per le strade esterrefatte ;
Che di male l'attesa senza requie,
Il peggiore dei mali,
Che l'attesa di male imprevedibile
Intralcia animo e passi ;
Che singhiozzi infiniti, a lungo rantoli
Agghiacciano le case tane incerte ;
Ora che scorre notte già straziata,
Che ogni attimo spariscono di schianto
O temono l'offesa tanti segni
Giunti, quasi divine forme, a splendere
Per ascensione di millenni umani ;
Ora che già sconvolta scorre notte,
E quanto un uomo può patire imparo ;
Ora ora, mentre schiavo
Il mondo d'abissale pena soffoca;
Ora che insopportabile il tormento
Si sfrena tra i fratelli in ira a morte;
Ora che osano dire
Le mie blasfeme labbra :
« Cristo, pensoso palpito,
Perchè la Tua bontà
S'è tanto allontanata ? »

(...)

3

Cristo, pensoso palpito,
Astro incarnato nell'umane tenebre,
Fratello che t'immoli
Perennemente per riedificare
Umanamente l'uomo,
Santo, Santo che soffri,
Maestro e fratello e Dio che ci sai deboli,
Santo, Santo che soffri
Per liberare dalla morte i morti
E sorreggere noi infelici vivi,
D'un pianto solo mio non piango più,
Ecco, Ti chiamo, Santo,
Santo, Santo che soffri.

Giuseppe Ungaretti  Il Dolore (1937-1946)





1

Fleuve mien toi aussi, Tibre fatal,
Maintenant que la nuit passe déjà troublée ;
Maintenant qu'insistant,
Comme exsudé à grand'peine de la pierre,
Un bêlement d'agneaux se multiplie
Égaré dans les ruelles atterrées ;
Que l'attente sans fin du mal,
Le pire mal,
Que l'attente du mal imprévisible
Entrave l'esprit et les pas ;
Que des pleurs infinis, que de longs râles
Glacent chaque demeure, antre peu sûr ;
Maintenant que passe la nuit déjà meurtrie,
Qu'à tout instant sont réduits à néant
Ou risquent les outrages tant de signes
Conduits, presque divins, à resplendir
À travers l'ascension des millénaires ;
Maintenant que déjà démembrée la nuit passe
Et que j'apprends tout ce qu'un homme peut souffrir ;
Maintenant, maintenant, tandis que le monde asservi
Étouffe au gouffre de douleur ;
Maintenant que l'intolérable peine
Se déchaine entre frères en haine à mort ;
Maintenant que ma bouche
Se risque à blasphémer :
« Christ, pensive palpitation,
Pourquoi s'est-elle éloignée
Aussi loin, Ta bonté ? »

(...)

3

C'est dans Ton cœur une plaie,
La somme de la douleur
Que l'homme répand sur la terre ;
Ton cœur, foyer ardent
De l'amour qui n'est point vain.

Christ, pensive palpitation,
Astre incarné dans la ténèbre humaine,
Frère perpétuellement
Immolé pour que soit refait
L'homme plus humainement,
Saint, Saint, Saint douloureux,
Pour délivrer de la mort tous les morts
Et soutenir nous autres malheureux vivants,
Je ne pleure plus mes seuls pleurs,
Vois, je T'appelle, Saint,
Saint, Saint douloureux.

Traduction : Philippe Jaccottet









Images : Passion et Crucifixion, de Bernardino Luini (terminé en 1529) Eglise de Santa Maria degli Angeli, Lugano

Source : Site Flickr



 

Erbarme dich, mein Gott, 
Um meiner Zähren Willen ! 
Shaue hier, Herz und Auge 
Weint vor dir bitterlich. 
Erbarme dich, mein Gott ! 

Aie pitié, mon Dieu, 
à la vue de mes larmes ! 
Vois, mon cœur et mes yeux 
pleurent amèrement devant toi. 
Aie pitié, mon Dieu !

2 commentaires:

  1. Quelle date ténébreuse s'approche de nous... la nuit solitaire avant le gouffre de la croix... Comme il faut d'enfance pour dire en soi : - Non, tu n'es pas mort. Allez lève-toi ! Les morts et leur cortège ouvrent plutôt la voix au Nevermore devant un ciel vide. Ungaretti pose la peau de l'homme sur celle d'un dieu.

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  2. Deux ans déjà... et voici qu'en mon cœur se mêlent le désert de l'agonie du Christ et la douceur de ré-ouvrir ces pages. Même si en ce temps le passé les habite. C'est comme refaire un chemin à l'envers, un chemin de Petit Poucet cherchant la maison. Mais les arbres sont si grands et lui si petit.
    Ce chant est magnifique. La musique est plus reposante que les mots. Il suffit de se laisser aller, de recevoir. Merci d'être là en cette nuit de ténèbres.
    Les fresques de Bernardino Luini... Tout ce temps où il peignait ce chemin de croix, s'attardant sur les bleus des vêtements de Marie alors que tout autour un rouge sang annonce la douleur, il était un passeur.
    Merci, Emmanuel.
    "pensive palpitation" écrit Ungaretti. Et c'est d'une enfance qu'il parle, l'enfance d'une présence qu'il me faut retrouver...

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