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dimanche 10 septembre 2017

Colisée, extérieur nuit




La rue descendait en ligne droite vers le Colisée illuminé, d'un rose d'albâtre, mais nous roulions comme des aveugles sans mémoire. Était-ce toujours là notre Colisée terrible du matin, qui avait la beauté d'une fournaise ? Il avait maintenant la douceur d'un poème, de ce poème qu'il nous récitait avec la rêveuse emphase d'un visage inspiré, tandis que lentement, parmi les autres véhicules, nous passions devant lui en tournant un peu, suivant le tracé de son galbe si pur. Je tentais en vain de me rappeler la figure de Geronima, effacée déjà de ma mémoire par cette vision nouvelle. 




Et je me disais aussi que le patron du garage n'avait commis qu'une de ces inexactitudes qui sont des raccourcis de la vérité, quand il avait attribué à Néron la construction du Colisée. Celui-ci, éclairé comme il l'était en ce moment, semblait refléter encore, et pour l'éternité, les flammes blanches de l'incendie qui avait marqué du signe de la Bête le règne de cet empereur ; et ainsi l'amphithéâtre commémorait dans les imaginations un événement plus ancien que lui. Les projecteurs dissimulés entre les blocs de pierre ou parmi les taillis du bas de l'Esquilin vêtaient de leurs feux la haute muraille circulaire et la délimitaient exactement dans la nuit, telle une falaise de marbre frappée par la lune. Leurs rayons incolores nettoyaient de toute souillure le cruel monument, révélaient en lui une limpidité, une clémence d'autant plus inespérées que d'abord ils parcouraient presque sans la troubler la semi-obscurité de la chaussée et de l'espace intermédiaire pour éclater tout d'un coup, arrêtés net dans leur trajectoire invisible, contre l'obstacle éblouissant du travertin. Soudain, comme touchée par un éclair, une voiture étincelait en interceptant par hasard un des obliques faisceaux lumineux dont elle trahissait ainsi l'aérienne et constante activité ; ou bien c'était un visage brusquement démasqué qui se détournait, cherchant aveuglément refuge dans l'ombre environnante et répétant la grimace d'une de ces victimes dont les bûchers avaient ici même embrasé les jardins impériaux.

Alexis Curvers  Tempo di Roma  Espace Nord, 2012










Images : en haut, Site Flickr

au centre, Cristian Martinez  (Site Flickr)

en bas, Guillaume Lemoine  (Site Flickr)



1 commentaire:

  1. Quelle beauté ! Comme c'est étrange, la ville autour. Rome où se frôlent des espaces-temps. Et ces motards, le final de Fellini Roma... Des motards comme les sentinelles de Cocteau, messagers de la mort dans son film Orphée.

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