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samedi 27 novembre 2010

Fiumi di lucciole (Fleuves de lucioles)



"L'Italia con gli occhi aperti nella notte triste..."






Une lecture de
Dolce Vita, de Simonetta Greggio


Blu notte
est une célèbre émission de la Rai consacrée aux mystères de l’Italie contemporaine, et c’est également sous la couverture bleu nuit des éditions Stock que parait Dolce Vita, roman dans lequel Simonetta Greggio – une Italienne qui a choisi d’écrire en français – se penche elle aussi sur ces nombreux mystères. L’ouvrage parcourt vingt années de l’histoire italienne, de 1959 à 1979 ; on y retrouve, dans une série de courts chapitres disposés comme autant de pièces d’un puzzle que l’on a fort peu de chances de voir un jour rassemblé, le récit des faits qui ont marqué cette période, depuis la première romaine de La Dolce Vita jusqu’à l’assassinat d’Aldo Moro, en passant par les attentats des années de plomb et les mystères de la Banque du Vatican, du Gladio ou de la Loge P2.

Un fil rouge romanesque lie tous ces événements : la confession in hora mortis du prince Emanuele Valfonda, dit Malo, une sorte de Guépard romain, qui a choisi de se confier au jésuite Saverio, à qui le lie une longue complicité, et plus encore, comme nous le révèlera la fin du récit. Malo sait qu’il va mourir, et dans sa villa de Torre Cane, à Ischia, il évoque une dernière fois ses frasques et ses secrets, en témoin engagé de ces années dorées et sanglantes. Ces pages-là ne sont pas ce qu’il y a de mieux dans le roman, on les sent parfois un peu cousues de fil blanc, comme les dialogues entre Malo et Saverio, qui donnent souvent l'impression d'avoir été fabriqués pour servir de commentaire ou de contrepoint idéal aux différents événements évoqués. C’est plutôt lorsqu’elle raconte les petits et grands mystères de ces vingt années italiennes que Simonetta Greggio est pleinement convaincante : on sent qu’elle possède parfaitement son sujet, et qu’elle s’appuie sur une documentation solide. Elle sait évoquer les mythologies (au sens de Barthes) de ces années-là : le Club Piper, Laura Antonelli ou Moana Pozzi, mais aussi démasquer les faux-semblants d’enquêtes qui, plutôt que de chercher à faire la lumière, semblent plutôt avoir pour but d’obscurcir encore les mystères ; elle relève des coïncidences troublantes, des connivences inattendues, des pistes laissées inexplorées. L’un des derniers chapitres, intitulé Post-Italie, montre d’ailleurs de façon très claire à quel point l’Italie d’aujourd’hui, désespérément berlusconienne, vient de ces années-là, qu’elles en sont en quelque sorte le triste mais logique aboutissement. Ce sentiment de l’inéluctabilité dans la catastrophe est parfaitement exprimé vers la fin du roman par le jésuite Saverio dans un monologue intérieur : «Les fantômes nous poursuivent. Sans sépulture, sans paix. Les nœuds ne sont pas défaits, Brigades rouges et fascistes meurtriers sont en liberté. Sans avoir parlé. Manipulés sans le savoir ou en connaissance de cause, aucun d’entre eux n’a rien dit. De toute façon, il n’y avait pas grand monde pour écouter... Ce qui n’a pas été, ce qu’on a empêché d’être continuera de nous hanter.»

La force et l'originalité de Dolce Vita résident principalement dans l’évocation minutieuse de ce cortège d’ombres qui accompagne l’histoire de l’Italie moderne, avec ses cadavres «excellents» et ses intouchables phénix de la politique et des affaires, qui n’ont nul besoin de se laver le visage le matin, puisqu’il leur suffit de remettre leur masque (et on pense au Divo Andreotti, ou au Cavaliere Dorian Gray). Simonetta Greggio nous fait remonter au fil des pages ce fleuve de lucioles qu’évoque Malaparte dans la citation placée en exergue, fleuve scintillant qui nous conduit vers un cœur de ténèbres, que seules éclairent aujourd’hui dans cette Italie «nef sans nocher dans la tempête, non reine des provinces mais bordel» (Dante) les lampions des fêtes berlusconniennes et les millions d’écrans qui diffusent imperturbablement les émissions de Sua Emittenza.







Images
: en haut, La Dolce Vita de Federico Fellini

en bas, Barbara D'Urso, l'une des stars de la télévision berlusconienne

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